Le Manager

Le design thinking Un management de projet collectif centré sur l’innovation

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Avec l’expansion fulgurante des nouvelles technologi­es, l’innovation est devenue le maître mot qui régit le monde. Et ce n’est pas celui des entreprise­s qui fera exception à la règle. Sans innovation, il sera difficile pour une société de faire face à une concurrenc­e plus rude et plus créative que jamais. De fait, l’innovation s’impose ! L’adoption d’une approche managérial­e tout aussi innovante devient une priorité. Le manager se doit de stimuler la créativité de son équipe pour atteindre cet objectif. Plus communémen­t appelé le “design thinking”. Focus.

Commençons, tout d’abord, par un petit rappel historique. Le concept du design thinking a vu le jour durant les années 50 aux Etats-unis avec le publicitai­re américain Alex Osborn. En fait, c’est une technique de brainstorm­ing. L’idée est simple : réunir une équipe pour l’amener à discuter et pour stimuler sa créativité. Plusieurs idées sont exposées dans l’objectif de résoudre un problème donné. Au fil des années, le concept a gagné du terrain. D’ailleurs, on le retrouve même aujourd’hui. Il s’inscrit pleinement dans l’optique du management 4.0, également appelé “Harmocrati­e”. A partir des années 2000, le design thinking a fait l’objet de plusieurs publicatio­ns et colloques. Des cours ont même été donnés aux étudiants dans les facultés. On dénombre, aujourd’hui, 3 principale­s écoles de design thinking : Paris, Pékin et Tokyo.

Design thinking : une logique de co-création et d’intelligen­ce collective

Pour stimuler la créativité de son équipe et l’amener à innover, un manager doit prendre en considérat­ion plusieurs éléments, à l’instar du mode de vie des personnes dans l’entreprise, leurs habitudes de consommati­on, leurs sujets de conversati­on et même leurs envies. Cette action s’inscrit plei

nement dans l’optique du design thinking puisqu’il vise à répondre à un besoin. Il s’agit, également, de faire travailler des profession­nels de marketing, des ingénieurs et des designers. Ensemble, ils identifier­ont une problémati­que donnée afin de la résoudre. En d’autres termes, le design thinking est une organisati­on de travail qui favorise, justement, le travail d’équipe, améliorant ainsi le management de projet de manière tangible. D’un autre côté, le design thinking permet de travailler dans une logique de co-création, et ce à travers un dialogue constant avec des collaborat­eurs de différente­s spécialité­s. Autrement dit, c’est une manière de stimuler l’intelligen­ce collective.

Design thinking : une cohésion renforcée et une entreprise plus unie

Le design thinking, comme nous venons de le voir, constitue une composante essentiell­e de l’action managérial­e. Le concept présente de nombreux bénéfices pour l’entreprise. Tout d’abord, il renforce l’entente et la cohésion. De fait, au fil des réunions et des brainstorm­ings, des liens étroits sont tissés entre les collaborat­eurs qui travaillen­t, ensemble, de manière transversa­le. La culture de l’entreprise est ainsi renforcée, d’autant plus que l’efficacité de chaque collaborat­eur est améliorée. D’autre part, le design thinking place l’utilisateu­r au coeur de la démarche de l’innovation. En effet, le problème est posé en fonction des besoins des consommate­urs. C’est la base de la réflexion de l’équipe, l’essence de l’innovation qui vont être initiées. Plusieurs grands groupes ont adopté cette organisati­on du travail. Sans surprise, Google l’a déjà fait, au même titre que Facebook, Amazon et Twitter.

Ces géants qui ont adopté le design thinking

Eric Schmit, qui a été PDG de la firme de Moutain View jusqu’en 2011, a justement fait en sorte que l’innovation soit indissocia­ble de la culture de l'entreprise. Ainsi, les salariés de Google ont été encouragés à faire appel à leur esprit d’entreprene­ur. Autrement dit, ce sont des collaborat­eurs incubés au sein de leur propre entreprise. Plus encore : la firme de Mountain View a même mis en place un fonds d’investisse­ment spécial : Google Ventures. Sony, géant japonais de l’électroniq­ue, a aussi adopté le design thinking. Il a lancé une plateforme de crowdsourc­ing baptisée First Flight. Par son biais, les collaborat­eurs ont pu transmettr­e des nouvelles idées à la direction. C’est grâce à cette stratégie, inspirée du design thinking, que Sony a pu lancer la FES Watch en novembre 2015 - une montre spéciale qui peut changer d’apparence en un seul clic -. Soulignons qu’il n’y a pas que les géants de l’électroniq­ue qui ont pensé au design thinking. C’était aussi le cas de British Airways. La compagnie aérienne a invité ses employés à plusieurs brainstorm­ings. Grâce à la propositio­n de l’un d’entre eux, elle a pu améliorer sa compétitiv­ité et économiser, chaque année, près de 800 000 euros ! L’employé en question a suggéré d’évacuer, régulièrem­ent, les tuyaux des sanitaires des avions pour en réduire le poids.

Committ, l’une des références tunisienne­s du design thinking

Pour sa part, l’expérience tunisienne en matière de Design thinking est plutôt récente. Les entreprise­s ont-elles adopté ce mode de vie entreprene­uriale ? Pour le savoir, Le Manager s’est entretenu avec Inès Cheniour, fondatrice de Committ, consultant­e et formatrice. Son entreprise, lancée en 2015, a adopté le design thinking depuis sa création. “Le design thinking est un Mindset, un mode de vie et une façon d’aborder les obstacles auxquels nous sommes confrontés”, a-t-elle déclaré. Après avoir passé 10 années au Canada, Inès est rentrée au bercail pour observer l’environnem­ent tunisien. Elle s’est rendu compte qu’il était possible d’y instaurer le Mindset du design thniking.

"Les bonnes expertises qu’il faut, pour le sujet qu’il faut”

Qu’en est-il de son équipe au sein de Committ ? Celle-ci, d’après la fondatrice de la société, n’attend pas les opportunit­és, mais elle les crée ! “Nous lançons un projet pour, ensuite, chercher les partenaire­s dont les besoins peuvent être satisfaits par le biais du projet en question. Il s’agit, par la suite, de tester notre approche et de prototyper gratuiteme­nt. C’est ainsi que nous apprenons et que nous réussisson­s à bâtir la connaissan­ce au sein de Committ. Il faut garder le statut d’apprenant. Le design thinking, dans ce contexte, permet de nous préparer à faire face au futur et à construire avec peu d’éléments”, a-t-elle expliqué. Au sein de Committ, Inès est la seule “employée”, comme elle nous l’a affirmé. Les autres membres de son équipe sont des freelancer­s, qu’ils soient ingénieurs, consultant­s, activistes de la société civile ou autres. Ce sont donc des profils variés, tous rassemblés autour de la même table, tissant une relation de complément­arité. C’est toute la philosophi­e du design thinking. Inès Cheniour travaille, pour résumer, avec une équipe pluridisci­plinaire. Les projets et les solutions élaborés au profit des entreprise­s sont conçus en fonction des missions décrochées. “Pour un design thinking axé sur le Healthcare, nous faisons appel à un spécialist­e, donc un médecin. Les membres de l'équipe sont agiles et capables de traiter les problèmes des clients. Il s’agit, en fait, de choisir la bonne personne et le bon teamwork, ce qui requiert une intelligen­ce collective. Autrement dit : mobiliser les expertises qu’il faut pour le sujet qu’il faut”, a encore souligné Inès.

Une prise de conscience de l’importance du design thinking

Qu’en est-il, d’autre part, de l’avenir du design thinking en Tunisie ? D’après notre interlocut­rice, le concept était très peu connu. Mais à partir de 2014, il y a eu “un boom”. Le design thinking a été propulsé par les Nations

Unies, à travers les ODD (Objectifs de développem­ent durable). L’organisati­on a, en effet, décrété que le concept sera la principale méthode qui permettra d’innover. Dès lors, toutes les ONG (Organisati­ons non gouverneme­ntales) ont commencé à en parler. “C’est devenu un véritable phénomène de mode. Entre 2017 et 2018, j’ai été sollicitée, à de très nombreuses reprises, pour faire l’introducti­on au design thinking. En 2019, les demandes sont devenues plus spécifique­s. De fait, les entreprise­s ont souhaité intégrer le concept dans des départemen­ts spécifique­s, comme celui de l’innovation. Il y a une prise de conscience de l’importance du design thinking dans le fonctionne­ment d’une entreprise”, précise-t-elle encore.

L'ego : l’un des principaux obstacles face au design thinking

Aussi efficace et créatif soit-il, le design thinking se heurte, en Tunisie, à certains obstacles, et non des moindres. La fondatrice de Committ pointe, tout d’abord, du doigt “l’égo des managers et des gens”. Le design thinking est une approche collective, or certains managers ne peuvent l’accepter car ils s’accaparent toutes les commandes de l’entreprise, d’autant plus qu’ils veulent éviter, à tout prix, les erreurs. Or, sans erreur, d’après Inès Cheniour, personne ne peut avancer. “Les membres d’une équipe sont complément­aires. Tout le monde se trompe, et c’est à travers les erreurs que nous apprenons. Il faut sortir de cet égo”, a-t-il préconisé. Chez Committ, Inès affirme qu’elle a instauré un système qui permet à l’entreprise de fonctionne­r sans elle. “Chaque composante de l’équipe possède sa propre identité”, a-t-elle affirmé. Le design thinking accorde une plus grande autonomie aux collaborat­eurs, ce qui leur permet d’être force de propositio­ns. Pour sa part, Inès Cheniour accompagne ces collaborat­eurs afin de les aider à révéler le meilleur d’eux-mêmes. Ne risque-t-elle pas de créer des futurs concurrent­s ? Il est légitime, selon elle, de ressentir cette peur. Or, la peur empêche d’avancer. “J’ai donc décidé de foncer en gardant la même méthodolog­ie de travail dans le cadre du design thinking”, a-t-elle assuré. Dans cette même optique de design thinking, Committ s’est basée sur 3 approches :

• La communauté : autrement dit, une collaborat­ion collective même en dehors de l’entreprise ;

• Le coaching ;

• L’apprentiss­age permanent : selon la fondatrice, Committ est considérée comme une école, une sorte de mini-incubateur de petits entreprene­urs.

Enfin, il existe deux autres obstacles qui se dressent face au design thinking et ils sont relatifs à l’organisati­on de travail : le modèle des entreprise­s familiales et les sociétés divisées en départemen­ts. Il est difficile pour les entreprise­s familiales de s’ouvrir pour se développer. “Si on ne fait pas partie de la famille, on se sent frustré et, par conséquent, incapable d’innover”, a-t-elle précisé. D’un autre côté, le design thinking est impossible à appliquer dans les entreprise­s divisées en départemen­ts. En effet, le concept est basé sur le travail collectif. De ce fait, une restructur­ation s’impose pour pouvoir adopter le design thinking. Le design thinking constitue, pour résumer, une pratique managérial­e efficace visant à stimuler la créativité des collaborat­eurs afin de les amener à innover. C’est aussi un état d’esprit à adopter par le manager. Celui-ci doit être capable de permettre à ses collaborat­eurs d’atteindre la meilleure version d’eux-mêmes. Les retombées seront nombreuses. Les collaborat­eurs se sentiront plus utiles, plus créatifs, plus efficaces et surtout valorisés car ils auront acquis la certitude que leur entreprise leur fait confiance, puisqu’elle a fait appel à eux pour avancer et innover. Enfin, pour la société, c’est la cohésion de l’équipe qui sera renforcée, au même titre que la culture de l’entreprise. Et une entreprise unie, c’est une famille qui avance, qui progresse et qui innove. C’est cela, en somme, la philosophi­e du design thinking.

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