Miqyes TPE
Pour sa quatrième édition, le baromètre Miqyes a dressé le tableau de la situation des très petites entreprises (TPE) en Tunisie. Focus.
Les très petites entreprises soutenues par les familles, oubliées par les marchés publics
Les résultats de l’édition 2019 de Miqyes TPE ont été annoncés lors d’une conférence tenue en novembre dernier à Gabès avec la présence de Tarek Cherif, président de la CONECT, de Steve Utterwulghe, représentant résident du Programme des Nations Unies du Développement et de plusieurs représentant de la société civile de la région du Sud. Pour Utterwulghe, ce baromètre permet de mettre sous les feux des projecteurs les obstacles auxquels font face les entreprises tunisiennes. “Ces données sont cruciales pour informer les décideurs publics afin de prendre les décisions qui aillent dans le sens de l’accompagnement de ces entreprises”, a-t-il souligné. De son côté, Tarek Cherif a souligné l’importance de l’investissement public dans l’infrastructure et dans la remise en état des entreprises publiques “qui sont en train de faire souffrir notre pays dans sa finance”. Ces investissements créeront selon lui le cadre optimal pour permettre le développement des entreprises privées.
Famille, principal soutien aux TPE tunisiennes
82.1%. C’est la part des très petites entreprises dont le lancement a été financé par du love money argent collecté auprès des amis et des membres de la famille. C’est ce qu’a dévoilé la quatrième édition du baromètre Miqyes publié le mois dernier. Au fait, les banques et les institutions de micro-finances ne financent qu’une partie infinitésimale des TPE : 19.4 et 7.4%, respectivement. À vrai dire, ce n’est totalement pas la faute du secteur financier. Sur l’ensemble des demandes déposées par les entrepreneurs, 74.5% aboutissent à un financement. Ce sont les entrepreneurs qui ont choisi de fuir les banques : 74% des TPE n’ont jamais demandé du financement aux banques. Pourquoi les entreprises n’ont pas eu recours aux crédits bancaires ? 31.1% des entreprises sondées indiquent ne pas avoir besoin de faire appel au financement bancaire. Pour 24.3%, c’est plutôt la complexité des procédures et la demande des garanties qui les a empêchés de faire appel au secteur bancaire. Encore plus inquiétant, 12.4% indiquent ne pas demander de crédit … parce qu’ils ne veulent pas avoir de contact avec les banques et ce, en plus des 7.1% qui évitent les institutions financières pour des considérations religieuses. Outre la question du financement, la famille joue un rôle important dans l’univers des TPE. En effet, c’est dans la famille que la plupart des entrepreneurs (38%) trouvent l’encouragement nécessaire pour lancer leur projet plus spécifiquement les parents (52.5%) et les conjoint(e)s (21.7%). 45% des entrepreneurs n’ont profité d’aucun encouragement lors du lancement de leur projet. Ceci complique certainement la tâche surtout que plus de 82% des chefs de TPE sont des primo-entrepreneurs. La société civile, les organisations patronales ainsi que les institutions de soutien sont quasi absentes puisque moins de 2% des entrepreneurs indiquent avoir bénéficié de l’encouragement de ces institutions pour le lancement de leur projet. Également, ces institutions ne sont pas en train de fournir l’assistance technique nécessaire aux très petits entrepreneurs. L’ANETI, par exemple, a apporté son accompagnement à 6.5% seulement des entrepreneurs. Ce taux est de 4.3% pour la société civile, les organisations internationales et les centres d’affaires. Le manque d’accompagnement pour les entrepreneurs peut constituer un obstacle face au développement de la culture entrepreneuriale. Ceci est d’autant plus important dans les régions intérieures du pays. “Pourquoi un jeune opterait-il pour se lancer dans une aventure entrepreneuriale pénible alors que les sociétés d'environnement de Plantation proposent des emplois “fictifs” à des salaires irrésistibles ?”, s’est interrogé Aymen Yahmed, expert-comptable et trésorier de la CONECT Gabès. Et ce n’est pas tout : le marché parallèle du carburant offre de son côté aux jeunes des opportunités de gain rapide, bien qu' illégal et risqué. “Qui peut refuser 500 dinars par jour pour transporter du carburant de contrebande ?”, a -t-il ajouté. Yahmed Yahya Kchaou, représentant du ministère de l’emploi et
de la Formation professionnelle, a indiqué de son côté que le ministère est en train de travailler sur plusieurs projets de loi dans le but de créer un cadre incitatif à l'entrepreneuriat. Il s’agit principalement des lois sur l’auto-entrepreneuriat et sur l’économie sociale et solidaire.
Un accès limité aux marchés
Rares sont les TPE qui exportent leurs produits ou services: 93.5% de ces firmes ont une activité à 100% locale. Ces entreprises souffrent également d’un accès réduit aux marchés publics, les plus grand marchés du pays. En effet, seules 22.1% des TPE ont indiqué avoir participé à des marchés publics. Ce taux passe à 25% à Tunis, et à 29% à Sfax. Dans l’intérieur du pays, ce taux n’est que de 17.2%. De leur côté, les municipalités ne représentent qu’une partie très limitée du marché des TPE. Seules 7.4% ont déjà offert leurs produits/services aux collectivités locales contre 18.3% pour l’état et les entreprises publiques. Bien qu’ils présentent une opportunité de taille, les marchés publics ne sont pas sans inconvénients. Des TPE qui ont participé aux marchés publics, 18.3% se plaignent de la corruption, 13.9% des retards de paiement, et 7% du manque de transparence. En tout, 51.4% des sondés ne sont pas satisfaits des marchés publics. Dans ce cadre, Yahya Kchaou a indiqué que le ministère de l’emploi et de la Formation professionnelle a lancé plusieurs projets pilotes avec plusieurs ministères, dont celui de l’equipement, des collectivités locales, etc. afin de rendre les marchés publics plus accessibles aux TPE. Malgré toutes ces entraves sur le marché local, rares sont les TPE qui songent à s’ouvrir sur les marchés internationaux. D’après les chiffres de Miqyes, seules 35.6% des entreprises dont l’activité est à 100% locale se sont déclarées intéressées par l’exportation. Et ce taux n’est pas distribué de la même manière sur tous les secteurs. Il est en effet de 48.1% pour les industriels, de 26% chez les fournisseurs de services et de 38% chez les commerçants. Pour ceux tentés par l’export, l’europe est naturellement la destination la plus privilégiée (42.5%), suivie par les pays voisins (Algérie et Libye, 31.6%) et l’afrique (24.7%). Qui les empêche d’attaquer les marchés internationaux ? C’est principalement à cause des droits de la douane (34.8%), des problèmes de devises (22.4%), le manque de données sur les marchés cibles (15.7%) et l’absence de réseaux de contacts (13.8%).
Digital, voie de salut, ou porte d’enfer ?
Avec le digital, il est pourtant plus facile d’aborder de nouveaux marchés au-delà des frontières nationales. Cependant, l’usage de l’outil numérique reste limité dans les TPE tunisiennes. L’usage du digital se fait principalement dans le marketing (43.7% des entreprises sondés) et le recrutement en ligne (10.6%). Pis encore, 85% des TPE n’utilisent pas le paiement en ligne. Et même celles qui le font, c’est principalement pour le règlement des factures des opérateurs Telecom (42.3%) et de la STEG (42.3%), ou encore pour le paiement des cotisations de la CNSS (28.2%) ou des impôts (24.4%). Ceci dit, les entrepreneurs sont conscients de l’apport de la digitalisation et réclament de dématérialiser plus de services administratifs. Parmi ces services, on trouve l’attestation de quitus de la CNSS (28.5%), l’attestation de quitus fiscal (24%), le paiement des taxes municipales (14.3%) et la légalisation de la signature (10.3%). Certes, ces chiffres sont encourageants mais le gap avec ce qui se passe ailleurs dans le monde reste très large. Karim Ahres, Expert Transformation Digitale et VP CONECT Digital, souhaite voir de plus en plus d’entreprises tunisiennes tirer pleinement profit de la révolution digitale, notamment de l’usage des données et de l’automatisation pour accélérer leur développement. “Il existe aujourd’hui des usines capables de fabriquer plus de 800 mille chaussures par jour”, a-t-il fait savoir. “Si nos entreprises ne feront pas le saut nous risquons de subir de plein fouet les conséquences de ce retard”. L’expert a aussi appelé à renforcer les liens entre les universités et les entreprises afin de mutualiser leurs efforts de développement de nouvelles technologies. La bonne nouvelle, pour Ahres, est qu’il est possible de transformer notre faiblesse en une force : “Plus petites, les entreprises tunisiennes sont donc plus agiles et capables de s’adapter plus facilement aux nouvelles tendances mondiales”. À bon entendeur!