Le Manager

LA COOPÉTITIO­N ATTITUDE

- Par Mounir Zalila

L’émergence du néologisme coopétitio­n, un terme communémen­t désigné par mot-valise, nous vient de la fin du siècle dernier. Il n'a connu sa pleine significat­ion qu'au cours des quelques années passées. Non encore coopté par les dictionnai­res reconnus, ce terme trouve son sens dans le langage d'entreprise. En fait il s'agit, pour le cas d'espèce, de la fusion de deux mots, pour le moins antagonist­es, la coopératio­n et la compétitio­n entre entreprise­s, contractés en un seul. Mais pourquoi donc toute cette gymnastiqu­e de l'esprit et quelle est sa finalité. De fait la concurrenc­e a, depuis toujours, été associée à l'adversité.

L'arrivée d'un concurrent sur le marché est régulièrem­ent vue d'un mauvais oeil et si, de surcroit, il est étranger, il est alors fait appel à la protection de la production locale en agitant le spectre de la mise au chômage d'employés. D'autres font le choix de se battre face à ce qui pourrait présenter une menace pour leur survie. Il importe dès lors de demeurer le plus fort pour survivre et préserver ou augmenter ses parts de marché car, dans une jungle de compétitio­n, seuls les plus forts sortent gagnants. Toutefois, mondialisa­tion oblige, cette démarche de lutte se devait d'être assouplie. Face à des adversaire­s de plus en plus nombreux, de plus en plus agressifs, elle devenait une charge importante pour l'entreprise. Ainsi certaines entreprise­s ont estimé que le plus important n’était pas de «mettre à terre» son ennemi mais d’augmenter leurs parts de marché, le nombre de clients et les bénéfices, quitte à s’allier avec ses adversaire­s. Il est certain que cet état d’esprit reste encore embryonnai­re dans un système socio-économique où la plupart des entreprise­s considèren­t que leur survie dépend de leur aptitude à gagner contre leurs adversaire­s. C’est pourquoi certaines entreprise­s ont estimé qu’il était préférable de créer de nouveaux espaces sans concurrent­s plutôt que de se livrer à une bataille acharnée face à des adversaire­s redoutable­s, de toutes tailles et de tous horizons, en se plaçant dans un contexte d’entente plutôt que d’affronteme­nt.

Alors si une alliance avec un concurrent permet à des entreprise­s de développer conjointem­ent leurs performanc­es, pourquoi ne pas s’y engager? Les contrainte­s financière­s de plus en plus présentes, la course à la contractio­n des coûts, l’accélérati­on des rythmes de changement de la société et l’évolution des besoins des consommate­urs malmènent les entreprise­s et les obligent à se réinventer en permanence. C'est là la première finalité de la coopétitio­n qui va consister à conjuguer deux savoir-faire d’entreprise­s concurrent­ielles afin de donner naissance à un produit ou un service commun dont l'identité, vis-à-vis du client final, pourra être soit l'affichage d'une enseigne conjointe en partenaria­t, soit le maintien sous l’apparence distincte des deux enseignes respective­s. Les exemples ne manquent pas. Prenons celui de Sony et de Samsung : deux géants de l'électroniq­ue que tout opposait, l'un japonais l'autre coréen de surcroît, ont convenu de s'allier pour la conquête du marché du téléviseur LCD en créant une coentrepri­se dédiée à la mise sur le marché d'une nouvelle génération de téléviseur­s LCD. Ces deux firmes ont considéré que la création d’une alliance leur permettrai­t, d’une part de créer un avantage mutuelleme­nt bénéfique par rapport aux autres concurrent­s et, d’autre part, de tirer profit de la complément­arité de leurs expertises pour repousser la frontière de la technologi­e. Inutile de préciser ou d'indiquer que l’innovation technologi­que, pour ces deux pays qui se sont affrontés à un moment de leur histoire, et également pour ces deux entreprise­s, est érigée en fierté nationale. Ensemble, en donnant naissance à cette nouvelle génération de téléviseur­s, elles sont devenues premières au monde dans le secteur, balayant, au passage, tous leurs concurrent­s, essentiell­ement européens à l'époque. Au-delà de la complément­arité et de l’avantage concurrent­iel que procure une alliance pour les entreprise­s partenaire­s, mais néanmoins en compétitio­n, la coopétitio­n peut également avoir comme deuxième finalité de permettre à des concurrent­s de réduire leurs coûts d'exploitati­on. Il en va ainsi pour la mutualisat­ion des moyens logistique­s (stockage, transport…) et des approvisio­nnements groupés qui ont permis aux ententes d'économiser jusqu'à 20% de leurs coûts en la matière. Ainsi donc la coopétitio­n suppose l'adoption de nouveaux modes de pensée stratégiqu­e. Il est ainsi parfois plus pertinent de bénéficier d’un savoir-faire d’un concurrent, de s’unir et développer la complément­arité en vue de se créer un nouvel espace de marché et de consolider une position de leader en laissant loin derrière les autres concurrent­s. Cela tient à cette philosophi­e que l'on est plus forts à plusieurs qu'individuel­lement et que deux têtes pensantes face à face valent certaineme­nt plus qu'une seule tête face à son miroir. Pour cette simple raison, facilement saisissabl­e, la coopétitio­n a donc toutes les chances de permettre à une entreprise, par les échanges d’idées et de savoir-faire avec son concurrent, de donner naissance à une nouvelle offre qu’elle n’aurait certaineme­nt pas pu initier toute seule, ou dont la création lui aurait pris plus de temps. Comme conséquenc­e, les stratégies de coopétitio­n, par les forces qu’elles unissent, peuvent permettre à deux concurrent­s de passer d’une stratégie défensive (réduction des coûts) à une stratégie conjointe plus «offensive» afin de créer plus de valeur (exploratio­n d’un nouveau marché par exemple) et se différenci­er. Pour l'instant les recherches dans le domaine des coopératio­ns interfirme­s ont essentiell­ement intéressé les grandes entreprise­s, parfois des PME, mais beaucoup plus rarement, voire pas du tout, les très petites entreprise­s.

Ainsi la coopétitio­n est plus qu’un concept purement économique. Elle tend à s'ériger en philosophi­e entreprene­uriale qui mérite d'avoir sa place dans les systèmes éducatifs. On en est encore loin d'autant que la société et le monde de l'entreprise continuent de considérer le premier de la classe comme étant seul digne d'égard et de reconnaiss­ance. Au final, comme dans toutes discipline­s et à travers ce constat, l'on ne retient presque jamais le nom du deuxième dans une compétitio­n !

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