QUEL BILAN POUR LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCT ?
La Tunisie a peiné à trouver une issue à une crise économique qui frôle déjà les dix ans d’existence. De son côté, la Banque centrale de Tunisie a multiplié les tentatives afin d’essayer de rectifier le tir. Ces tentatives étaient-elles fructueuses? C’est la question à laquelle a tenté de répondre un panel d’experts à l’occasion de la conférence annuelle du Club Forex Tunisie. Ce panel a été modéré par … Marwan Abassi, gouverneur de la BCT!
Depuis 1986, la Tunisie a maintenu une légère dépréciation de l’ordre de 3% par an afin de maintenir la compétitivité de ses exportations sur les marchés internationaux.
La dépréciation de trop
“Depuis 3 ans, nous vivons au rythme d’une dépréciation annuelle de 13%”, a noté Mongi Safra, économiste et professeur universitaire. Cette dépréciation s’est accompagnée, selon lui, d’un phénomène spéculatif important qui a aggravé considérablement le déficit, d’un déficit énergétique inélastique qui a atteint les 38% du déficit commercial et d’une importante inflation. Car même si le taux d’inflation a enregistré une baisse de 2% comparé au pic historique de 8%, ce taux reste selon Christian de Boissieu très élevé “même pour un pays émergent”. Selon lui, il est temps que la Banque centrale de Tunisie se fixe un objectif pour l’inflation aux alentours de 4%. “Un tel cap aurait peut-être une influence sur les négociations salariales”, a-t-il souligné. Tous ces paramètres font que “la Tunisie se trouve dans un cercle vicieux”, a souligné de son côté Christian de Boissieu, vice-président du Cercle des Économistes français. Selon lui, la baisse de la valeur du change accélère l’inflation domestique qui dilue rapidement les augmentations des salaires. Cette dépréciation du change, censée donc améliorer la compétitivité de l’économie tunisienne, ne l’améliore donc vraiment pas”, a-t-il souligné. Et d’ajouter: “Cela fait que vous accumulez les inconvénients de la baisse du change, sans jamais pouvoir en atteindre les avantages”. Quant à la légère appréciation de la valeur du dinar face à l’euro, l’économiste juge qu’il est encore tôt d’en tirer les conclusions.
Un cercle vicieux de l’endettement
Mais ce qui préoccupe le plus de Boissieu c’est l’insoutenabilité de la dette, aussi bien publique que privée: “le fait que le taux d’intérêt réel soit supérieur au taux de croissance de l’économie pose des problèmes de dynamique d’endettement”. Et si la politique monétaire ne tient pas compte de cet écart, “la BCT risquerait de créer un autre cercle vicieux pour l’endettement”. La seule issue serait selon l’expert de mettre en place les politiques monétaires nécessaires pour accélérer la croissance. Mais pas que cela : “Il faut que le prochain gouvernement se penche sur les questions de croissance et de chômage par le biais d’une feuille de route de moyen à long termes”. Or la politique monétaire a pris une tournure restrictive claire depuis 2016. Ce resserrement a eu, selon Mongi Safra, un impact positif sur le déficit courant, le déficit budgétaire, et l’inflation. Mais ce resserrement monétaire s’est accompagné d’une baisse de la croissance due, en partie, à des facteurs exogènes tels que la hausse des prix du pétrole et la baisse de la demande extérieure dans le textile et la mécanique.
Un resserrement à tous les niveaux
Safra a expliqué en revanche qu’une partie de la baisse est le fruit de facteurs endogènes, notamment le ralentissement qu’a enregistré le secteur du BTP qui “n’a jamais connu auparavant une croissance négative”. Mustapha Kamel Nabli, ancien gouverneur de la Banque centrale, a noté pour sa part qu’en plus de cette politique monétaire restrictive, “nous sommes entrés dans une politique budgétaire extrêmement restrictive”. Nabli a usé d’un autre indicateur pour démontrer l’impact de telles politiques sur le PIB: la croissance hors secteurs sinistrés. Celle-ci a baissé à moins de 2% a-t-il noté. Pourquoi ces politiques n’ont pas permis de résoudre les déséquilibres macroéconomiques ? Selon l’ancien gouverneur de la BCT, la Tunisie fait face à un problème de choc d’offre avec notamment la baisse de la production, surtout dans les secteurs sinistrés qui coûtent à la Tunisie de 5 à 6 points du PIB. Or les politiques menées sont des politiques de demande. Et de souligner: “Les politiques structurelles sont loin d’être à la hauteur des défis auxquels nous faisons face, dont le premier est celui de l’énergie”. Pour Christian de Boissieu, résoudre ces problèmes nécessiterait des politiques de long terme mais “il faut aussi que l’opinion publique, légitimement impatiente, accepte une telle feuille de route”. Pour ce faire, l’économiste recommande d’appliquer de la pédagogie mais surtout que la répartition des coûts de la transition soit considérée comme relativement équitable. Et de conclure: “Il ne faut pas creuser les inégalités dans ces périodes de transition compliquée”.