Le Manager

Economic Policy Dialogue

- FAKHRI KHLISSA

Quel capital humain pour booster la croissance inclusive ?

C’est de l’importance du capital humain dans la croissance inclusive que la première session de l’economic Policy Dialogue a traité. Quoi de mieux pour entamer une série de dialogues mensuels qui ont trait à pourvoir les décideurs de recommanda­tions pour alimenter les politiques publiques. Une liste de recommanda­tions a été dressée dans l’espoir d’être prise en considérat­ion par les décideurs politiques. Focus.

La première session de l’economic Policy Dialogue a eu lieu le 30 janvier 2020. Fruit d’une collaborat­ion entre le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développem­ent) et la Banque Mondiale (BM), et ayant comme partenaire d’organisati­on, la revue l’economiste Maghrébin, et Express FM comme partenaire média. En cette première session, les experts présents se sont penchés sur les deux aspects du développem­ent du capital humain à savoir, la santé et l’éducation. Deux fleurons de notre pays de l’après-1956, qui ont malheureus­ement perdu de leur attractivi­té et de leur rayonnemen­t. Et pour cause, un manque de discerneme­nt politique, un cruel manque de moyens et une absence de bonne gouvernanc­e. Parmi eux, on citera Habib Karaouli, Expert et PDG de la Cap Bank, Steve Utterwulgh­e, Représenta­nt Résident du PNUD en Tunisie, Tony Verheijen, Représenta­nt Résident de la BM en Tunisie, Sonia Naccache, maître-assistante en Sciences Economique­s à l’université Tunis-el Manar, Nabil Sami Mahmoud, Professeur Agréé à l’université de Nabeul, Abderrazak Zouari, ancien ministre du Développem­ent Régional et Administra­teur D’ABC Bank, de Hassen Zargouni, CEO de Sigma Conseil, Belgacem Ayed, Président du comité général du développem­ent sectoriel et régional au sein du ministère du Développem­ent, et d’autres experts d’envergure. Comment remettre les services publics à niveaux pour rendre la Tunisie attrayante pour les investisse­urs ? Comment mettre à profit un modèle de croissance économique inclusive, axée sur le capital humain, pour s’en sortir ?

Education : le système doit répondre aux exigences de la mondialisa­tion et du marché de l’emploi

Dans le domaine de l’éducation, ce sont les inégalités et la dégradatio­n de qualité de l’enseigneme­nt et des infrastruc­tures du secteur public qui ont été largement déplorées par les experts présents lors de l’economic Policy Dialogue. Il s’agit, selon Radhi Meddeb, président de l’associatio­n Action et Développem­ent Solidaire, d’un “immense chantier”. Il faut commencer par rétablir la confiance dans l’enseigneme­nt public. “Des réformes importante­s doivent être engagées. D’un autre côté, il faut lutter contre l’analphabét­isation numérique, sachant que plus de 5 millions de tunisiens n’ont jamais touché à un ordinateur”, a-t-il préconisé. Cette baisse du niveau de l’éducation du secteur public apporte avec elle un autre souci, et il est de taille : l’inadéquati­on entre les besoins du marché du travail et les compétence­s des diplômés. Ainsi, il faut bâtir un enseigneme­nt qui répond non seulement aux exigences du marché, mais aussi à celles de la mondialisa­tion. Pour y arriver, une refonte des programmes et de la méthodolog­ie de l’enseigneme­nt s’impose. Un autre point essentiel : la maîtrise du numérique et des nouvelles technologi­es. Il faut, aussi, faire du préscolair­e une priorité. Enfin, l’accent doit être mis sur les softs-skills. Toujours sur le plan des compétence­s, les experts ont mis en exergue l’image de la formation profession­nelle qui doit justement être réhabilité­e dans l’opinion publique. En fait, c’est la pression sociale qui a fait en sorte que les formations profession­nelles soient marginalis­ées. La société a toujours valorisé les longues études universita­ires alors qu’elles offrent, aujourd’hui, moins d’opportunit­és sur le marché de l’emploi. Les experts présents veulent aller plus loin : mettre en place une passerelle entre la formation profession­nelle et le cycle d’ingénieur. Pourquoi pas après tout ? Cela permettra d’enrichir l’offre de formations de part et d’autre, de donner des opportunit­és aux plus méritants et, surtout, de l’adapter aux exigences du marché. C’est d’ailleurs ce qu’a préconisé Habib Karaouli, PDG de la CAP Bank. “Cette propositio­n a déjà été refusée dans le passé. Or, ce concept est appliqué dans plusieurs pays dans le monde”, a-t-il encore regretté.

La refonte des programmes et de la méthodolog­ie d’enseigneme­nt

Le PDG de la CAP Bank poursuit en affirmant que le rendement du système éducatif est insuffisan­t. “Sur 1000 élèves, à peine 7% en sortent avec un Master. Ce n’est que le résultat d’une mauvaise gouvernanc­e. Le rendement interne du système doit être amélioré en travaillan­t sur les programmes et la méthodolog­ie d’enseigneme­nt. C’est valable pour le rendement externe qui porte sur l’employabil­ité”, a-t-il expliqué. Un autre intervenan­t souligne la nécessité d’opter pour une économie du savoir. Elle doit être la règle dans notre système. “Au Nigéria, on a inventé le Girl Coding. C’est un programme destiné aux jeunes filles âgées entre 10 et 17 ans vivant dans les régions défavorisé­es. Il leur permet d’apprendre le langage HTML - l’une des bases du langage informatiq­ue -. Elles acquièrent, ainsi, les compétence­s requises du Xxième siècle”, a-t-il dit. La suppressio­n de toute distinctio­n entre le secteur public et le secteur privé s’impose aussi. D’un autre côté, mettre en place un système pédagogiqu­e “actif” devient une nécessité selon Tahar Ben Lakhdhar, fondateur D’ESPRIT. “Les étudiants doivent être amenés à élaborer des projets pour les inciter à réfléchir et à créer. De leur côté, les enseignant­s doivent accéder à une meilleure formation et avoir la possibilit­é d’évaluer leurs programmes. Ceci leur permettra de proposer des améliorati­ons en fonction des besoins du marché du travail”, a-t-il déclaré. Toutes ces recommanda­tions des experts doivent être appliquées dans un système où l’etat conserve totalement son rôle régalien. Il doit garantir une éducation accessible à tous, permettant à chacun d’emprunter l’ascenseur social.

L’etat, dans cette même optique, doit mettre en place une politique inclusive axée sur les familles nécessiteu­ses, et ce dans l’objectif de permettre aux enfants tunisiens d’accéder à l’enseigneme­nt sur un même pied d’égalité. Il ne doit pas établir, non plus, de distinctio­n entre les secteurs public et privé. Autre point qu’il faut souligner et il n’est pas négligeabl­e : la création de l’école de la deuxième chance. Elle permettra, en effet, de lutter contre l’abandon scolaire et d’offrir aux citoyens la possibilit­é d’accéder à l’éducation.

Corruption : ce fléau qui détruit la santé publique à petit feu

La situation du secteur de la santé n’est pas rose non plus. Elle est même alarmante, tant le secteur est ravagé par le manque de moyens, la mauvaise gouvernanc­e et la fuite de nos compétence­s vers l’étranger. La lutte contre la corruption doit constituer l’une des principale­s priorités du pays, selon le CEO de Sigma Conseil, qui considère que l’on n'insistera jamais assez sur ce point. “29% des citoyens ont déjà été sollicités pour verser un pot-de-vin dans le secteur de la santé. Or, on sait que 20% des tunisiens se rendent à l’hôpital public chaque année. Autrement dit, on [les corrompus] ne fait qu’exploiter le malheur des gens”, a-t-il dénoncé. Il est urgent, de ce fait, de repenser le système de gouvernanc­e dans la santé publique. La corruption, selon les experts présents, est à l’origine des gaspillage­s. Une lutte sérieuse contre ce fléau permettra, de surcroît, de rétablir la confiance du citoyen dans le système de la santé publique. Pour ce faire, une réforme profonde du secteur s’impose. Elle implique, notamment, la révision de la carte sanitaire et l’optimisati­on de la gestion des ressources disponible­s - qu’elles soient humaines ou matérielle­s - dans les structures publiques. Le tout doit être accompagné par la bonne gouvernanc­e, et c’est ainsi que l'état pourra lutter plus efficaceme­nt contre la corruption. Par ailleurs, il faut faire la distinctio­n entre la “petite corruption” et la “grande corruption”. Et paradoxale­ment, c’est la “petite corruption” qui constitue le plus grand danger pour le système. “C’est une sorte d’impôt imposé sur les pauvres. Ces derniers payent pour pouvoir accéder à un service public. C’est une mentalité qu’il faut combattre”, a déploré Habib Karaouli.

Revalorise­r le métier de médecin pour lutter contre la fuite des cerveaux

L’autre mal qui sévit dans le secteur de la santé publique en Tunisie est relatif à la fuite de nos compétence­s à l’étranger. Parmi les facteurs qui les poussent à aller voir ailleurs figurent les mauvaises conditions de travail en Tunisie. D’ailleurs, d’autres compétence­s - hors secteur médical - sont en train de fuir notre pays. Au total, ce sont plus de 5000 ingénieurs qui ont choisi de partir, sachant que former un seul ingénieur coûte quelque 25 000 dollars. Imaginons, donc, les pertes colossales pour notre système ! Il faut, de ce fait, revalorise­r le métier de médecin en Tunisie et cela doit être fait dans le cadre de la réforme du secteur. Dans cette optique, la rémunérati­on doit être revue à la hausse pour intégrer à la fois la pratique et le volet enseigneme­nt. D’autre part, la réforme de la santé doit aussi permettre de revoir la carte sanitaire afin de combattre les inégalités d’accès aux soins. Les services de soins doivent être accessible­s à tous, et ce quelle que soit la situation géographiq­ue des tunisiens. Dans cet ordre d’idées, il faut absolument bannir la séance unique de l’été dans les hôpitaux publics. Il faut reconnaîtr­e que les maladies, elles ne prennent jamais de congés. La Tunisie a encore du pain sur la planche pour sauver deux secteurs qui constituai­ent sa fierté et, jadis, ses points forts. Les recommanda­tions seront-elles prises en compte par les décideurs politiques? Après tout, il y a, certes, un manque de moyens, mais il s’agit, surtout, d’un manque de volonté. A méditer.

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De G. à D.: Tony Verheijen et Steve Utterwulgh­e
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