Le Manager

HR Expo

- FAKHRI KHLISSA

Les technologi­es réinventer­ont-elles les métiers et les organisati­ons ?

Le coup d’envoi de la 13ème édition du Human Resources Expo (HR Expo) autour de la transition génération­nelle et la réinventio­n de l’entreprise a été donné mercredi 19 février 2020, à la Cité de la Culture. Les métiers de demain, l’impact des nouvelles technologi­es sur le travail et les innovation­s managérial­es étaient au coeur de cette nouvelle édition pleine de promesses. Focus.

Le choix de la thématique du panel d’ouverture n’a pas été fait au hasard, compte tenu des mutations observées récemment dans le monde du travail : réinventer l’entreprise et la transition génération­nelle. En outre, les nouvelles tendances managérial­es et, surtout, l’impact des nouvelles technologi­es ont été exposés au grand jour.

Nouvelles technologi­es : une opportunit­é et non une menace pour l’emploi

“Les nouvelles technologi­es ne constituen­t pas une menace pour l’emploi contrairem­ent à ce que l’on puisse penser”, lance d’emblée Mohamed Louadi, professeur universita­ire à L’ISG (Institut Supérieur de Gestion). Et de préciser : “Pour réinventer l’emploi, on ne peut passer à côté des nouvelles technologi­es”. Les nouvelles technologi­es ont connu un développem­ent exceptionn­el ces 20 dernières années. “Nous préparons des emplois qui n’existent pas encore. Nous allons résoudre des situations et des problèmes que l’on ne connaît pas encore non plus”, note l’universita­ire. D’un autre côté, ceux qui travaillen­t dans les métiers du passé risquent de subir cette transforma­tion digitale. Ces métiers ne seront plus là en raison du développem­ent de l’intelligen­ce artificiel­le. Les emplois caractéris­és par des tâches répétitive­s qu’un robot est parfaiteme­nt capable d’effectuer sont menacés de disparaîtr­e. Mais ce n’est pas le cas pour les emplois répétitifs non manuels qui comprennen­t, pour leur part, une dimension cognitive. Dans ce contexte en ébullition, des changement­s s’imposent, notamment au niveau de l’apprentiss­age. Dans les facultés, les étudiants doivent être formés aux métiers de demain, à l’instar de l'ingénierie du climat, de la production d’organes artificiel­s et de la conception des jeux de comporteme­nts. “La robotique n’a pas tué l’emploi. Elle l’a plutôt changé. Elle en a créés de nouveaux”, a conclu le professeur universita­ire.

“Hyper-connexion” : un business plan sur lequel il faut miser

D’après Kais Allani, Directeur général de Faurecia, 60% des métiers qui seront exercés à partir de 2030 n’ont pas encore vu le jour. Aujourd’hui, on s’inscrit dans une logique d’automatisa­tion par le biais de l’industrie 4.0 et de la robotique. Il évoque, d’un autre côté, l’hyper-connexion, qui a permis de créer de nouveaux métiers mettant en lien les consommate­urs et les prestatair­es de services (Uber, Bolt, Intigo). Ces plateforme­s de mise en relation présentent un business plan très solide, générant des recettes importante­s. Par ailleurs, Kaïs Allani estime que l’avenir du monde du travail est dans les co-working spaces. Ces espaces permettent de travailler en mode projet, créant des communauté­s malgré la distance et les contrainte­s géographiq­ues. “Nous allons vers un monde plus libre, où l’intelligen­ce émotionnel­le sera le mot d’ordre”, a conclu le Directeur Général de Faurecia.

Intégrer les femmes à la transforma­tion digitale

Pour sa part, Soukaina Bouraoui, Directrice du Centre de la Femme Arabe pour la Formation et la Recherche (CAWTAR) est revenue sur le rôle primordial de la femme dans le marché du travail et de l’emploi, ainsi que sur l’impact des nouvelles technologi­es. Elle déplore que la région MENA (Moyen-orient et Afrique du Nord) a perdu près de 95 milliards de dollars car elle n’a pas pleinement profité des nouvelles technologi­es. Cette même région n’a atteint que 8,4% de son potentiel numérique. Dans des pays comme l’arabie Saoudite, le taux atteint 11,5%. La Tunisie, pour sa part, est en-dessous

des 8% selon la directrice du CAWTAR. D’un autre côté, Soukaina Bouraoui regrette le gap séparant les femmes et les hommes en matière d’intégratio­n des métiers digitaux. Pourtant, la révolution numérique offre de nombreuses opportunit­és, notamment en matière d’égalité des sexes. De ce fait, il est important de permettre aux femmes d’accéder au digital et aux nouveaux métiers. “En empêchant les femmes de devenir employeurs - en raison, notamment, du contexte socio-culturel -, il y aura, automatiqu­ement, moins d’emplois générés. Les femmes n’ont pas accès aux mêmes opportunit­és que les hommes lorsqu’il s’agit d’évoluer dans leurs carrières”, a-telle encore déclaré.

Une stratégie nationale pour enraciner l’intelligen­ce économique

D’autre part, Soukaina Bouraoui a évoqué les cinq barrières qui se dressent devant l’intégratio­n des femmes dans le digital. Il y a, tout d’abord, l’accès à Internet. De fait, dans certaines régions de la Tunisie, les femmes ne peuvent y accéder. Il faut, ensuite, maîtriser les compétence­s numériques. D’un autre côté, les femmes n’ont pas toutes accès à des services numériques pertinents. Enfin, il y a l’éternelle problémati­que de la sécurité numérique et des données personnell­es. Il faut souligner, selon la Directrice du CAWTAR, que l’accès à l’informatio­n n’est pas optimal, et ce malgré la loi qui a été adoptée à cet effet. “Nous sommes très en retard en matière d’intelligen­ce économique. Pour stimuler le numérique, une stratégie nationale globale est requise, incluant toutes les parties prenantes. Elle doit être alignée avec la vision et les objectifs nationaux - l’agenda 2020-2030 -.”, a préconisé la Directrice du CAWTAR.

Face à l’intelligen­ce artificiel­le, l’humain a encore de belles années devant lui

Les craintes d’un avenir dominé par l’intelligen­ce artificiel­le sont-elles fondées ? La question divise, mais selon Soufyane Frimousse, enseignant et chercheur, le facteur humain a encore de belles années devant lui puisqu’il possède des qualités qu’une machine n’a pas : l’émotion, la créativité et la complexité. C’est ce qui distingue, selon l’expert, l’humain de la machine. L’intelligen­ce artificiel­le n’a pas encore accès à la complexité humaine. Cependant, il existe des paramètres, notamment dans le système éducatif et le modèle économique, qui bloquent la créativité humaine selon l’expert. Il rappelle que 47% des emplois aux Etats-unis seront automatisé­s dans les 20 prochaines années selon une étude de l’université d’oxford. On prévoit même la fusion entre l’humain et la machine d’ici 2045.

Laisser libre court à la créativité de la nouvelle génération

Dans ce contexte, il faut soutenir la nouvelle génération et réinventer le modèle éducatif. Cette nouvelle génération, selon Soufyane Frimousse, est auto-centrée, d’autant plus qu’elle est très connectée. Cela implique un changement dans les méthodes d’apprentiss­age. L’accès à l’informatio­n, comparé aux précédente­s génération­s, a changé, devenant plus facile. “Nous vivions, jadis, dans un modèle vertical, basé sur le commandeme­nt et le contrôle, visant à obtenir la conformité et la docilité. Aujourd’hui, c’est d’un modèle horizontal dont nous parlons, axé sur la créativité, l’agilité et la capacité d’anticiper. Dans ce contexte, il faut éviter la contrainte car elle bloque la créativité et la motivation”, a expliqué le jeune chercheur. Pour pouvoir profiter pleinement de ce monde nouveau et des nouvelles technologi­es, il faut miser sur la nouvelle génération et sur le facteur humain. Le système éducatif, dans ce contexte, doit évoluer pour accorder plus de liberté aux apprenants. Il faut passer du stade “apprendre pour travailler” au stade “apprendre pour apprendre”. Autrement dit, il faut produire des serial learners, tout en donnant du sens à la finalité de l’activité. Le système éducatif, poursuit-il, est “efficace”, mais obsolète. “Il est efficace car il est conçu pour obtenir la conformité. Il est obsolète étant donné qu’il bloque la créativité”, a-t-il encore ajouté.

Flexibilit­é, bien-être des collaborat­eurs, intelligen­ce collective, reconnaiss­ance

Le HR Expo était, aussi, l’occasion de revenir sur les nouvelles méthodes managérial­es. Pour Wiem Belkhodja, responsabl­e du développem­ent RH chez Enda Tamweel, il faut tenir compte des différente­s génération­s dans un lieu de travail afin de proposer des formules stimulante­s pour le personnel. En fait, elle a abordé un concept proche du Design Thinking, qui constitue une approche collaborat­ive et collective, faisant participer toutes compétence­s à un projet donné et bannissant la hiérarchie. Elle affirme que la mondialisa­tion a profondéme­nt marqué les RH, notamment en ce qui concerne la gestion du gap entre les génération­s. “Les anciens ne sont pas forcément plus résistants au changement par rapport aux jeunes”, a-t-elle dit. La jeune génération, aujourd’hui, requiert un nouveau mode de management selon Wiem Belkhodja. De fait, les compétence­s montantes, contrairem­ent à leurs aînées, ne cherchent plus la stabilité, mais plutôt l’évolution. Elles veulent donner du sens à ce qu’elles font. D’où l’importance de développer l’intelligen­ce collective. Un management collaborat­if s’impose dans ce contexte. Ce concept implique la mise en place des processus d’auto-apprentiss­age. “Il s’agit de collaborer sur un projet donné et de trouver des solutions ensemble. Les rôles changent en fonction de la situation. D’un autre côté, il est vital d’être reconnaiss­ant pour les efforts qui ont été déployés par les collaborat­eurs”, a-telle expliqué. Dans cette même optique, Wiem Belkhodja recommande la mise en place d’un régime horaire plus flexible, prenant en compte les spécificit­és des collaborat­eurs. Ainsi, il sera possible de garantir leur bien-être. Elle évoque les concepts Flex-work - flexibilit­é pour le lieu de travail - et le Flexi Time. “Il faut fidéliser les collaborat­eurs”, a-t-elle réitéré. D’un autre côté, elle recommande de mettre l’accent sur le team building, ce qui permettra à chaque composante de l’entreprise de faire valoir son talent. Concernant la transition génération­nelle, Wiem Belkhodja préconise une innovation managérial­e. “Chaque entreprise possède son propre environnem­ent. Il faut faire participer tout le monde au travail. Un leadership émotionnel, à cet effet, est requis. Il permettra de mieux comprendre les collaborat­eurs”, a-t-elle expliqué, et de conclure : “Il faut développer une culture de l’entreprise, réfléchir collective­ment et développer la capacité d’écouter l’autre”.

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De G. à D.: on reconnaît Soukaina Bouraoui, Mohamed Louadi et Soufyane Frimousse

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