La guerre des talents
La fameuse banque helvétique Crédit Suisse est dans l’oeil du cyclone. Un scandale d’espionnage sans précédent a éclaté au sein de l’établissement et a coûté la tête à l’obama de la finance, son Directeur Général Tidjane Thiam. L’homme a préféré quitter son poste le 14 février, un choix qui n’a rien à voir avec la Saint-valentin. Il s’agit du jour de l’annonce des résultats de la banque pour l’année 2019. Déjà, ce scandale a déjà fait deux victimes : le Directeur des opérations et le Chef de la sécurité de la banque. Un parcours d’exception
Tidjane Thiam est un homme d’affaires franco-ivoirien né le 29 juillet 1962 à Abidjan. Après l’obtention de son bac, il a continué ses études dans l’hexagone en intégrant dans une classe préparatoire au Lycée Sainte-geneviève à Versailles, passant après à la Polytechnique puis à l’ecole des Mines, dont il sortira major de sa promotion en 1986. Il débute sa vie professionnelle à Mckinsey & Company en qualité de consultant en management. Après un MBA chez Insead, à Fontainebleau, l’homme passe aux Etats-unis pour intégrer le Young Professional Program initié par la Banque Mondiale. En 1994, il a été nommé comme Directeur du Bureau National d’etudes et de Développement Technique dans son pays d’origine, chargé des grands travaux, avant de devenir ministre Ivoirien de la Planification en 1998. Après le coup d’état militaire de 1999, il a décidé d’abandonner la politique et est parti de nouveau chez Mckinsey, mais en tant qu’associé. En 2002, il part à la City de Londres et intègre l’équipe dirigeante de l’assureur multi-branches Aviva. Ses excellentes performances ont attiré Prudential plc, le plus grand assureur Vie du FTSE, qui l’embauche en tant que Directeur Financier. L’homme parvient à anticiper la crise financière et permet à la compagnie de réaliser des performances financières exceptionnelles alors que l’industrie déprime. Immédiatement après, il est nommé Directeur Général du Groupe, devenant le premier dirigeant noir d’une entreprise du FTSE 100. En juillet 2015, il devient le Directeur Général de Crédit Suisse et est resté dans son poste jusqu’à ce mois de février. Durant cette période, il a lancé une vaste restructuration des activités de la banque, en mettant l’accent sur la banque privée et à la gestion de fortune. Avant sa sortie, il laisse un établissement avec un bénéfice net de 3,42 milliards de franc suisse.
Une affaire interne
Le scandale a éclaté fin septembre 2019 après la révélation de l’espionnage d’iqbal Khan, l’ancien Directeur de la gestion internationale de fortunes de la banque et de Peter Goerke, l’ancien Directeur des ressources humaines et membre de la direction. Dans les deux cas, ce sont des entreprises privées qui ont été chargées de le faire au profit de certaines personnes influentes de la banque. L’enquête a prouvé que Tidjane Thiam n’a jamais été directement impliqué dans l’affaire, mais il doit assumer la responsabilité en tant que premier responsable de la banque. Il n’est pas normal qu’une telle opération sensible puisse avoir lieu sans qu’il soit au courant. Cela pose des questions sur sa capacité effective à contrôler l’établissement.
Des conflits sous-jacents
Le plus intéressant dans cette affaire est ses origines réelles. Elle est le résultat de choix que le Conseil d’administration avait pris durant les années précédentes en matière de gestion des hauts cadres. D’ailleurs, la banque helvétique ne serait pas la seule à suivre une telle stratégie, avec une différence au niveau des pratiques. En fait, et avec les changements qui ont secoué le monde de la finance, avec une orientation vers la digitalisation, le conseil et l’intégration de nouveaux métiers, l’ascenseur de la promotion interne ne fonctionne plus convenablement. On fait donc appel à des recrutements externes, ce qui aboutit à des équipes hétérogènes où les membres sont obligés de cohabiter. La mayonnaise ne prend pas lorsque la recrue est une star de l’industrie. Dans le cas d’espèce, c’est encore plus intéressant puisque la personne victime de l’espionnage a déjà quitté l’établissement. Le Directeur des opérations a effectivement surveillé Iqbal Khan car il avait des soucis que ce dernier comptait débaucher quelques hauts cadres de Crédit Suisse, ce qui le mettra dans l’embarras. Selon les enquêteurs, cela traduit une vraie défaillance dans la culture d’entreprise de la banque, « où on n’a pas confiance dans la capacité d’un ancien employé à respecter ses engagements ». C’est une immense publicité négative à l’établissement à une époque où la bonne gouvernance est parmi les principaux critères d’investissement.
Recrutement éthique
Cela pousse à repenser les méthodes de recrutement qui peuvent avoir des conséquences négatives. La diversité des métiers au sein des banques est devenue un vrai casse-tête pour les responsables de ressources humaines et la polyvalence est plus que jamais un atout. Les bons candidats se font rares, et la formation n’est plus suffisante pour promouvoir une nouvelle génération de hauts cadres. La pression concurrentielle fait que le temps est compté et il ne faut pas attendre que le produit interne réussisse sa mission. Il faut débaucher chez ses concurrents. Nous assistons à une forme de mercato ouvert tout au long de l’année avec des salaires astronomiques lorsqu’il s’agit de postes de direction. En dépit d’offres financières alléchantes, ce sont les boîtes de Fintech qui ont une plus grande capacité à attirer des talents. Les banques manquent de souplesse organisationnelle et sont incapables de réagir à temps aux grands virages stratégiques. La consolidation du secteur, avec une longue phase de fusions, a contribué à la destruction d’un grand nombre de postes d’emploi, réduisant l’attractivité de l’industrie bancaire. Ce n’est plus le secteur où on peut faire carrière. C’est l’un des principaux défis du secteur. La digitalisation est forte, mais elle a des limites car rien ne peut remplacer le contact humain.