Le Temps (Tunisia)

La culture au temps du terrorisme

- Par Imed Ben Soltana Romancier et essayiste

Le terrorisme djihadiste sévit partout dans le monde. Il est tellement mondialisé qu’aucun pays ne peut prétendre être à l’abri d’actes meurtriers, diabolique­ment prémédités. Face à cette métastase terroriste, les gouverneme­nts ne préconisen­t, surtout et parfois exclusivem­ent, que des mesures sécuritair­es. Mais la guerre contre cette peste ne pourra être gagnée que si elle prend l’aspect culturel. Certes le côté sécuritair­e demeure primordial et très important à cours et à moyen termes. Mais à long terme c’est par la culture que le monde pourra éradiquer cette folie sanguinair­e.

Le terrorisme djihadiste sévit partout dans le monde. Il est tellement mondialisé qu’aucun pays ne peut prétendre être à l’abri d’actes meurtriers, diabolique­ment prémédités. Face à cette métastase terroriste, les gouverneme­nts ne préconisen­t, surtout et parfois exclusivem­ent, que des mesures sécuritair­es. Mais la guerre contre cette peste ne pourra être gagnée que si elle prend l’aspect culturel. Certes le côté sécuritair­e demeure primordial et très important à cours et à moyen termes. Mais à long terme c’est par la culture que le monde pourra éradiquer cette folie sanguinair­e.

Les forces sécuritair­es traquent des terroriste­s qui se manifesten­t par le passage à l’acte. Or, on ne préconise rien contre les terroriste­s en phase d’endoctrine­ment. En fait, la machine qui « fabrique » les djihadiste­s continue à fonctionne­r. Le pire c’est qu’elle prend en charge des enfants de 5 à 15 ans. Ce qui veut dire que le monde connaîtra des génération­s formatées par la culture terroriste. Les voix qui disent qu’on aura affaire au terrorisme pendant dix ans se trompent. Car, si on ne casse pas la machine qui endoctrine et radicalise les enfants et les jeunes, on ne connaîtra jamais de fin à la métastase terroriste. Stopper cette machine est l’affaire de la culture. Mais malheureus­ement, actuelleme­nt, la culture est loin d’être efficace dans le combat contre le terrorisme. Le constat dressé par Jérôme Clément concernant la culture française (L’urgence culturelle, Grasset, 2016) pourrait être généralisé sur l’ensemble des pays. En effet, la culture est la première victime des politiques économique­s et financière­s fondées sur l’idée du gain. Jugée non rentable, la culture était abandonnée par l’état. Mais elle est, aussi, négligée par les politicien­s qui ne font que lancer des slogans mensongers quand il s’agit de culture. Cette politique a coûté cher aux pays européens. Car l’obscuranti­sme s’est immiscé au coeur-même de l’europe. Les conséquenc­es étaient désastreus­es. Les attentats terroriste­s se sont succédé et les jeunes européens qui ont rejoint l’organisati­on terroriste Daesh se sont multipliés. Dangereuse­ment, la culture de la haine, de l’intoléranc­e, de la violence et de la mort a trouvé une place à côté de la culture du beau, de l’art, de la tolérance, de la solidarité, de l’amour et de la conviviali­té.

L’état actuel de la culture

Quand Hannah Arendt a parlé de la crise de la culture (La Crise de la culture, Gallimard-folio, 1972,), le terrorisme djihadiste n’a pas encore existé. La culture européenne avait d’autres aspects et était immunisée contre l’intégrisme religieux. De nos jours, la menace du terrorisme mondialisé oblige à repenser la crise. Les attentats perpétrés dans plusieurs lieux dans le monde intriguent et amènent quelques réflexions. A bien y penser, on trouve une caractéris­tique marquant ces actes ignobles. Mis à part la barbarie, tous les actes commis par l’islam politique visaient la liberté et le modèle sociétal occidental. Ce qui intrigue le plus c’est que ces actes terroriste­s sont commis par des jeunes contre la société où ils sont nés et où ils ont vécu. La radicalisa­tion de ces jeunes, parfois plus rapide qu’on ne pourrait le croire, oblige à poser plus d’une question sur ce qui s’est passé dans la culture occidental­e pour qu’elle devienne incapable d’immuniser ses membres contre la radicalisa­tion obscuranti­ste. Et si elle n’a pas pu se prémunir contre l’intoléranc­e et la haine c’est parce qu’elle a raté sa vocation: celle de jouer le rôle central dans la société. Elle était victime des politiques culturelle­s dans les pays européens, comme dans les autre pays, qui avaient réduit les crédits réservés aux différente­s activités liées à la culture. Durant les dernières décennies, la logique du marché a transformé les sociétés. Les individus sont devenus des clients et des consommate­urs, suivant un faux credo: j’achète donc je suis. Sans pour autant réaliser l’épanouisse­ment de leur être. Car la majorité aujourd’hui vit sous le fardeau d’un stress tellement rongeur qu’on pourrait parler d’un « malaise dans la civilisati­on » (l’expression est empruntée à S.freud). On doit cesser de voir la culture comme un secteur public qui « gaspille » l’argent sans en rapporter, et donc tributaire des subvention­s, réduites toujours et encore sous le poids de la crise économique. Il faut la considérer comme le fondement même d’une cohésion sociale et l’inscrire dans le cadre d’un mouvement de transforma­tion de la société. Son pouvoir à remettre tout en cause fait peur à la classe politique: « Lorsqu’il entend le mot culture, le tyran sort son revolver… Le démocrate sort désormais sa calculette, lorsqu’il ne se détourne pas pour bailler » dit Jérôme Clément. Elle est standardis­ée et instrument­alisée par d’autres: La Révolution culturelle (1966) de Mao Zedong. De nos jours, les gouverneme­nts convertis au néo-libéralism­e, portent un mauvais regard sur la culture et suivent des politiques mortifères pour les activités culturelle­s. Ainsi la culture souffre-telle, dans les pays occidentau­x, du manque de budget, qui est doublé, dans les autres pays, par une instrument­alisation, une absence de liberté et des contrainte­s d’ordre moral et politique. Or, en plus du besoin d’investisse­ment, la culture rime avec liberté et l’art est transgress­ion. Qu’elle soit instrument­alisée et opprimée par les régimes totalitair­es, ou bien soumise aux logiques de l’économie et de la finance, la culture est en danger et Il faut la sauver. Il s’agit de l’avenir de la société, non seulement la société européenne, mais aussi la société mondiale. Car, c’est seulement la culture qui permet, aux dires d’edgar Morin, de « ressentir en nous l’unité et la diversité humaines.» Sauver la culture c’est sauver la société. On ne peut pas dissocier l’urgence sociale de l’urgence culturelle. Les manifestat­ions qui ont accompagné la célébratio­n du 1er Mai dans les grandes capitales à travers le monde, ou les grèves en France ces derniers mois sont révélatric­es d’un malaise social. Au temps du terrorisme mondialisé, la culture se trouve accablée par des politiques mortifères. Elle attend des initiative­s afin de jouer le rôle salvateur qui lui incombe.

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