Le Temps (Tunisia)

Du comique teinté d’humour noir

- Kamel BOUAOUINA

Derrière leurs confidence­s touchantes, drôles ou affreuseme­nt tragiques, deux femmes se dessinent progressiv­ement les traits d’une société où les violences politique, religieuse, sociale et sexuelle s’allient entre elles, pour transforme­r le quotidien en douleur, culpabilit­é et désespoir. Mais c’est justement face au désespoir que ces deux femmes vont faire front. Zina et Aziza, deux femmes d'un certain âge souffrent de l‘ennui et de la routine du quotidien.

Ces deux femmes ont choisi de s'occuper, à titre bénévole, de la laverie de la maison de retraite avec l'espoir de rendre leur vie moins monotone et plus agréable. Une réelle amitié est née entre ces deux écorchées de la vie, malgré la différence de leurs caractères et vécus. C'est une histoire comme des milliers d'autres, l'histoire de deux femmes âgées qui n'ont pas d'histoire ; deux personnes comme on en voit peu au théâtre. Dans un décor de laverie, une lumière tamisée, sur fond de musique douce, Aziza Boulabiar fait son entrée sur les planches du théâtre de Hammamet, sous les applaudiss­ements du public. Une voix de vieille dame résonne, méconnaiss­able dans son habit de femme, Moez Toumi la rejoint sur scène. Que le spectacle commence, désormais ce n'est plus que Zina, Aziza et le public, deux femmes qui sont dévorées par le désir de vivre, mais rien n'est gênant comme les gens qui s'accrochent à l'existence : tout est ordonné pour que – mangeant,

dormant – elles ne fassent que survivre. Elles ne sont pas les plus malheureus­es, ni les plus misérables: c'est une détresse au fond très normal. L'histoire est relatée sur un ton burlesque, placé sous le signe de la corvée au féminin. Les deux femmes ont leur propre conception de la vie, mais elles prennent un plaisir fou à laver, sécher et plier. Elles essayent de combler le temps entre la morne répétition de rituels quotidiens et les "secousses" de vie, de désir, d'autodestru­ction, d'aspiration­s vers le ‘‘grand tout'' ou le "grand rien" qui les agite. Avec beaucoup d'humour, le duo aborde tous les sujets qui dérangent tels que la politique, la religion, la crise économique, la liberté, l'impact des réseaux sociaux, la montée du salafisme et du terrorisme, les grèves à répétition, les manifestat­ions, bref en gros… l'état du pays. Tous ces enjeux, ces affronteme­nts, cette tension entre Aziza et Zina sont exprimés tantôt dans un style dramatique, tantôt dans celui de la fable. Humour, narration et rire sont donc les ingrédient­s utilisés. Les deux actrices entrent dans une phase d'ébullition. A partir de là, la pièce se transforme en un burlesque imbroglio. Aziza Boulabiar toujours égale à elle-même et Moez Toumi excellent dans le rôle de Zina, inventent et racontent des histoires et font passer des messages sur notre quotidien, avec humour.

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