Le palais en colère contre un ministre allié aux islamistes
Le choc des mots. Le poids de la photo. Ou l’inverse. Pour illustrer un communiqué au ton particulièrement sévère du cabinet royal à l’encontre d’un ministre du gouvernement, Nabil Benabdellah, l’agence de presse officielle MAP a choisi une photographie de l’enceinte du palais, le Méchouar : drapeau marocain claquant au vent sous un ciel couvert de nuages, canon de bronze fièrement dressé au premier plan. L’atmosphère à Rabat est en effet à l’orage, en cette soirée du mardi 13 septembre. Quelques minutes plus tôt, une brusque détonation avait fait retentir les smartphones des hauts commis de l’etat, des journalistes et des observateurs politiques. L’écho d’un tir au canon sous la forme d’un communiqué du cabinet de Mohammed VI. Le texte vise M. Benabdellah, ministre de l’habitat, « coupable » d’avoir désigné comme adversaire Fouad Ali Al-himma, ami et conseiller de Mohammed VI. Florilège : « Cette déclaration, qui intervient après d’autres déclarations tout aussi irresponsables de M. Nabil Benabdellah, n’est qu’un outil de diversion politique en période électorale. » Celles-ci seraient « en contradiction avec les dispositions de la Constitution », ajoute le cabinet, qui qualifie ces propos de « dangereux, d’autant plus qu’ils émanent d’un membre du gouvernement et que la personne visée occupe actuellement la fonction de conseiller » royal, lequel « n’a plus aucune relation avec l’action partisane ».
L’objet de la colère du palais royal réside dans un entretien récent accordé à l’hebdomadaire arabophone Al-ayyam par M. Benabdellah dans lequel il refusait l’éventualité d’une alliance de la formation politique qu’il dirige, le Parti du progrès et du socialisme (PPS, gauche) avec le Parti authenticité et modernité (PAM, centre gauche), tout en pointant du doigt « la personne qui se trouve derrière ce parti » et, plus loin, « son fondateur ». A Rabat, tout le monde a compris que le ministre désignait Fouad Ali Al-himma. Fondé en 2008 pour contrer les islamistes, le PAM apparaît comme le deuxième parti du pays – seulement 47 députés, mais premier en nombre de conseillers communaux (6 655) grâce au vote rural, et de présidents de région (5 sur 12), grâce à des alliances. Or M. Ali Al-himma a officiellement quitté ses fonctions au sein du PAM en 2011, en pleine vague de contestation au Maroc, avant d’être nommé en décembre de la même année conseiller du roi, fonction qu’il occupe actuellement. Il est accusé, souvent de manière anonyme ou allusive, de n’avoir pas rompu avec le PAM, formation que le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, qualifie de parti du « tahhakoum », un terme qui désigne en arabe la domination ou l’autoritarisme. De leur côté, les dirigeants de ce parti mettent en avant un projet moderniste et paritaire, en pointe sur les questions sociétales (droits des femmes, dépénalisation du cannabis, etc.) et assimilent les islamistes actuellement au gouvernement à un « complot mondial des Frères musulmans ». Depuis quelques jours, la température montait entre deux camps décidés à en découdre lors des législatives prévues le 7 octobre. D’un côté, le gouvernement actuel, du moins ce qu’il en reste, c’est-à-dire le PJD et son patron Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement depuis janvier 2012, et ses alliés du PPS. De l’autre, une opposition très large mais divisée qui a assisté, impuissante, au triomphe des islamistes lors des communales de septembre 2015. L’actuel climat de compétition politique entretient une bipolarisation de fait. « Pour certains, la contradiction fondamentale, comme disaient les marxistes, porte sur les valeurs – islamo-conservateurs contre modernistes, explique Abdellah Tourabi, chercheur et journaliste politique. Pour d’autres, la priorité est à la construction démocratique et la contradiction s’exprime entre d’un côté des partis autonomes et représentatifs et de l’autre des partis animés par une tentation autoritaire. » Or cette bipolarisation est électoralement déséquilibrée. Sur les dix plus grandes agglomérations marocaines, neuf sont aujourd’hui dirigées par un maire islamiste. De fait, même si le ministère de l’intérieur a rappelé l’interdiction des sondages (deux semaines avant le début de la campagne), Abdelilah Benkirane reste populaire et il mènera la liste du PJD à Salé, son fief électoral dont il avait été élu député il y a vingt ans. Dans l’opposition, seul le PAM affiche l’ambition d’arriver en tête de l’élection de la Chambre des représentants, rampe de lancement d’une éventuelle alternance politique. En vertu de la Constitution, « le roi nomme le chef du gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des représentants, et au vu de leurs résultats ».