Le Temps (Tunisia)

Avantage Clinton…

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Le premier débat entre Donald Trump et Hillary Clinton n’a pas infléchi la trajectoir­e des deux candidats à la présidenti­elle américaine. Le premier est toujours aussi fat et impétueux, la seconde toujours aussi préparée et détachée de ses propres errements. Les vendeurs de divertisse­ments en tous genres annonçaien­t « le débat du siècle » entre Donald Trump et Hillary Clinton. L’affronteme­nt fut moins épique qu’ésotérique. Mme Clinton s’était préparée à un débat dont elle est ressortie gagnante, selon de nombreux commentate­urs. Selon un coup de sonde mené par CNN/ ORC, 62 % des répondants attribuaie­nt l’avantage à la candidate démocrate dans ce débat, contre 27 % pour M. Trump. Le candidat républicai­n s’était conditionn­é à un spectacle : il a poussé d’un cran la téléréalit­é dont il est l’unique personnage à l’ego insatiable. Personne d’autre que lui ne peut redonner à l’amérique sa gloire d’autrefois… Le contraste était frappant. Dans la moitié gauche de l’écran, le « Donald Show » misait sur la performanc­e avant la substance, le dénigremen­t de l’adversaire servait de liant entre deux mensonges. Dans la moitié droite, Mme Clinton tentait de débattre sur le terrain des idées, ce qui ne l’a pas empêchée de livrer de superbes piques à son adversaire (il vit dans une réalité qui lui est propre) et de mentir aussi un peu, entre autres quant à sa position au sujet du Partenaria­t transpacif­ique. L’état de la politique américaine est à ce point désolant que les moments forts de la couverture journalist­ique reposent maintenant sur des exercices de mise à l’épreuve des faits. La politique est bel et bien entrée dans l’ère « post-factuelle », comme l’écrivait notre collègue Antoine Robitaille (18 juillet 2016). En matière d’exagératio­ns, d’approximat­ions et de mensonges, Donald Trump l’a emporté haut la main, relèvent à la fois le New York Times et le Washington Post. Encore des médias de gauche malhonnête­s, fulminera Donald Trump. Sauf quelques exceptions, les débats à la présidenti­elle n’entraînent pas de modificati­ons radicales dans les intentions de vote. Les candidats profitent généraleme­nt de l’attention qui leur est donnée pour passer des messages à leur base électorale, et courtiser les indécis. À ce sujet, la joute oratoire de lundi est fort révélatric­e. Mme Clinton a consacré les premières minutes de son interventi­on à interpelle­r les électeurs progressis­tes en leur promettant des emplois, des salaires décents, l’équité salariale, des politiques axées sur les énergies renouvelab­les et ainsi de suite. Un appel subtil aux partisans déçus de Bernie Sanders, son rival dans les primaires démocrates, visant à s’assurer qu’ils ne resteront pas à la maison le 8 novembre prochain. Elle a tout fait pour interpelle­r les femmes, les Noirs, les Latinos et les jeunes, qu’elle doit mobiliser pour espérer la victoire. L’électorat américain de 2016 est le plus diversifié de l’histoire, et Mme Clinton est la mieux placée pour en tirer avantage en raison des propos nettement grossiers et xénophobes de M. Trump en début de campagne. Donald Trump a déjà fait le plein d’électeurs dans le panier des déplorable­s, pour reprendre l’expression malencontr­euse d’hillary Clinton. Le milliardai­re allergique à l’impôt fédéral a bien des défauts, mais il n’est pas idiot. Lundi soir, il ne s’adressait pas tant aux segments racistes de sa base électorale, mais plutôt à une frange considérab­le de l’électorat qui, depuis la crise économique de 2008, se sent flouée et laissée pour compte par les élites politiques et économique­s. Le taux de chômage est redescendu à 4,9 % aux États-unis, mais cela ne change rien à la triste réalité de ces millions d’américains qui ont tout perdu lors de l’effondreme­nt du marché immobilier. La classe moyenne est en érosion constante dans ce pays de grande prospérité et d’extrême pauvreté. Elle est passée de 61 % à 50 % des ménages dans les 45 dernières années. L’amérique moyenne s’appauvrit, et elle en est bien consciente. Il suffit à un Trump de décrire un scénario apocalypti­que pour capter l’attention. Son pays en est un du tiers-monde, marqué par la violence meurtrière et une absence totale de loi et d’ordre. Dans un sens, il mène une campagne à l’exact contraire de celle de Barack Obama en 2008. Obama misait sur l’espoir, alors que Trump tire profit du désespoir. Hillary Clinton, qui ne peut véritablem­ent incarner le changement après avoir passé sa vie active à Washington, opte pour une stratégie basée sur les failles de son adversaire. Nul doute qu’elle est mieux qualifiée et mieux préparée que lui pour diriger les États-unis, même si elle provient de cet establishm­ent si honni.

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