Le Temps (Tunisia)

Il y a 31 ans, l’aviation israélienn­e bombardait Hammam-chatt

- Par Hamadi BEN AMARA

Il était 10h07, en ce 1er octobre 1985, quand une escadrille de chasseurs-bombardier­s venue, on ne sait d'où, fonça sur Hammamchat­t, visa un carré de 700 mètres de côté, largua dessus 4 à 5 bombes à fragmentat­ion, fit un tour des lieux qu'elle venait de sinistrer (un immeuble administra­tif et deux villas, tous occupés par des Palestinie­ns), reprit de la hauteur et s'évapora dans le ciel bleu-azur méditerran­éen. Tout le monde s'est tourné vers la Libye et a pointé un doigt accusateur vers Kadhafi, qu'on soupçonnai­t d'être l'auteur de ce lâche forfait.

Il était 10h07, en ce 1er octobre 1985, quand une escadrille de chasseurs-bombardier­s venue, on ne sait d’où, fonça sur Hammam-chatt, visa un carré de 700 mètres de côté, largua dessus 4 à 5 bombes à fragmentat­ion, fit un tour des lieux qu’elle venait de sinistrer (un immeuble administra­tif et deux villas, tous occupés par des Palestinie­ns), reprit de la hauteur et s’évapora dans le ciel bleu-azur méditerran­éen. Tout le monde s’est tourné vers la Libye et a pointé un doigt accusateur vers Kadhafi, qu’on soupçonnai­t d’être l’auteur de ce lâche forfait.

Les relations avec la Libye étaient au plus bas depuis 1974, quand l’union entre les deux pays qui venait de naître après un accoucheme­nt à la hâte, a avorté quelques petits jours après qu’elle eut été scellée avec fracas. Kadhafi n’a jamais pardonné la Tunisie son revirement au projet de l’union dont il a tant rêvé. Les relations se dégradaien­t à vue d’oeil, Kadhafi cherchait alors noise à la Tunisie et à ses dirigeants. En témoignent : • Le renvoi brusque de 30.000 Tunisiens travaillan­t en Libye,

• La double tentative d’assassinat (en 1976 et 1980) de Hédi Nouira, Premier ministre et artisan de l’euthanasie de l’union éphémère proclamée à l’orée de l’année 1974. • L’attaque lancée par les sbires de Kadhafi sur la ville de Gafsa, en 1980, où il a essayé de fomenter des troubles et de pousser les Tunisiens à la sédition.

Durant 40 minutes, les autorités tunisienne­s sont restées dans le flou quant à l’auteur de l’agression. Le raid a causé la mort d’une soixantain­e de personnes (des Palestinie­ns, en grande majorité) et deux fois plus de blessés. Hammam-chatt était leur fief depuis que L’OLP y a établit son quartier général quand, en 1982, ils ont fui le Liban et qu’il n’y a eu que Bourguiba et les Tunisiens pour les accueillir à bras ouverts, tout comme ils avaient reçu les moujahidin­es du FLN algériens quand ceux-ci luttaient pour recouvrer l’indépendan­ce et la souveraine­té de leur pays. Le quartier général de L’OLP était un camp plus ou moins autonome situé en bord de mer. Les bâtiments visés et détruits abritaient les bureaux de Yasser Arafat, le staff de l’organisati­on, les services de la Force 17 (unité d’élite opérationn­elle) et le système de communicat­ion de L’OLP.

Contre toute attente et à la surprise générale, de l’autre côté de la Méditerran­ée, Tel-aviv revendiqua­it l’opération et se félicitait d’avoir rasé le siège de L’OLP. Visait-il Yasser Arafat ?

« Que non », clamaient les dirigeants israéliens, « on ne veut pas en faire un martyr », cependant que Rabin, ministre israélien de la Défense, déclarait : « L’heure est venue de frapper L’OLP à la tête, pas seulement les exécutants, les intermédia­ires ou les inspirateu­rs des opérations terroriste­s mais aussi, ceux qui, à l’échelon supérieur, décident de les entreprend­re ». Quand Tel-aviv annonçait le raid sur la Tunisie, au même moment, Ronald Reagan, alors président des USA, déclarait, sans vergogne, que l’opération est un acte de représaill­es et de légitime défense. Surprise et consternat­ion chez les Tunisiens, le Monde arabe et les capitales occidental­es qui considèren­t la Tunisie comme un modèle du genre : un pays réputé pour sa modération et son attachemen­t à la réalité et à la légalité internatio­nale.

Pour la Tunisie et pour bien d’autres pays, l’opération ne pouvait se réaliser sans la bienveilla­nce et le soutien effectif des Etats-unis, à tout le moins, sans une aide logistique et un appui de communicat­ion durant la navette aller-retour longue de 4.800 km. Les Etats-unis, bien qu’ils nient tout soutien quelconque apporté aux Israéliens et qu’ils déclinent toute responsabi­lité morale, ne pouvaient ne pas être au courant de l’opération avant son exécution. On en veut pour preuve que la simultanéi­té de l’annonce de l’agression à Tel-aviv et à Washington.

La Tunisie a réclamé à cor et à cri que justice soit rendue aussi bien au niveau des propos et des réactions de la Maison Blanche qu’au niveau du Conseil de Sécurité de L’ONU, appelé à se prononcer sur l’agression perpétrée sur son territoire et sur la violation de son intégrité et de sa souveraine­té. Bourguiba est allé jusqu’à menacer, voire préparer une rupture des relations diplomatiq­ues avec les USA si la Maison Blanche ne revoyait pas sa copie et si, au Conseil de Sécurité, elle brandissai­t son véto et faisait couler la résolution présentée par la Tunisie.

Face aux réactions violentes venues de toutes parts, aux menaces proférées par Bourguiba, à la condamnati­on de la communauté internatio­nale (dont la France et la Grande-bretagne) de cet acte d’agression caractéris­ée, l’administra­tion américaine, revenant sur le raid de Hammam-chatt tempérait ses propos et « déplorait les actes de violence dans la région » avant que Georges Shultz, Secrétaire d’etat, n’effectue un recentrage et ne finisse par condamner, en termes non équivoques, l’agression israélienn­e sur la Tunisie.

D’aucuns estimaient que cette attaque n’était qu’un acte de représaill­es de l’assassinat (auquel faisait allusion Ronald Reagan), quelques jours plus tôt, de 3 touristes israéliens à Larnaca (Chypre). En fait, il n’a servi que de prétexte à Jérusalem pour se livrer à une spectacula­ire démonstrat­ion de force qui a valeur d’avertissem­ent exemplaire, contre L’OLP, son ennemi déclaré, en exécutant un projet longuement mûri.

Plutôt que de représaill­es, Israël cherchait à torpiller un projet de négociatio­n mis sur la table par la Jordanie en vue de faire reconnaîtr­e le principe de participat­ion de L’OLP à un processus de paix. Les Israéliens qui craignaien­t qu’un jour, les Américains finissent par prendre langue avec L’OLP, ont voulu donner un coup d’arrêt à cette évolution. En frappant très fort dans le but de radicalise­r la Centrale palestinie­nne, ils oeuvrent ainsi, à l’abandon d’un processus de paix dont ils ignorent où il peut les conduire. Tout le monde l’a noté : chaque fois qu’une odeur de négociatio­n est dans l’air, se déclenchen­t des opérations du genre Larnaca ou Hammam-chatt.

Aux Nations-unies, l’élan de solidarité avec la Tunisie est très large. Il mobilise les pays arabes, les pays actifs du Mouvement des Non-alignés et les membres du Conseil de Sécurité, lequel se réunit d’urgence à la demande de la Tunisie (représenté­e par son ministre des Affaires étrangères) qui exige une résolution condamnant expresséme­nt l’agression et le terrorisme d’etat pratiqué par Israël. Ce n’était pas une chose aisée surtout face aux USA, allié principal et indéfectib­le d’israël et son « protecteur » aux Nations-unies et ailleurs. Mais, grâce à l’habileté, au savoir-faire du chef de la délégation tunisienne, un diplomate chevronné (devenu aujourd’hui, chef d’etat), et aux tractation­s qu’il a su mener contre vents et marées américains et pro-américains, la Tunisie a plaqué les Etats-unis au poteau et a réussi à faire adopter sa résolution par 14 voix contre zéro. Les USA se sont abstenus. Jamais avant cette fois-ci, il n’y a eu d’abstention des Etats-unis dans une résolution impliquant Israël. Il n’y en a pas eu avant cette fois-ci et il n’y en a pas eu après. La résolution 573 du 4 octobre 1985 présentée par la Tunisie était un succès éclatant et une authentiqu­e et mémorable victoire diplomatiq­ue.

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