Le Temps (Tunisia)

Le soir où le vent a tourné…

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Cinq jours après la joute entre un Donald Trump suffisant et une Hillary Clinton acérée, le constat est quasi unanime : Hillary est sortie gagnante du débat. Pour autant, un débat ne fait pas l’élection, et 2016 est une année inédite.

Alors que sa base n’avait plus besoin d’être convaincue, Donald Trump devait ratisser plus large, notamment du côté des femmes et des minorités. Las. Se prenant pour un roi thaumaturg­e, il a invoqué « l'enfer » que ces dernières vivent, n’avançant que « la loi et l'ordre » pour tout programme. Il a persisté à assimiler du même souffle les Afro-américains, les Hispanique­s et la criminalit­é. Fat, lorsqu’il se glorifie de n’avoir pas attaqué l’infidèle Bill Clinton, il oublie le taux de popularité d’hillary Clinton pendant l’affaire Lewinsky.

La seule porte-parole qui parvenait à élargir son bloc d’électrices — sa fille Ivanka — s’est enfermée dans un mutisme pesant depuis son entrevue ratée avec la revuecosmo. La perspectiv­e du prochain débat avec questions du public va donc imposer à Trump de redéfinir son modus operandi. En est-il capable ? Hillary Clinton a habilement manoeuvré. À travers Alicia Machado — cette Miss maltraitée par le magnat de l’immobilier —, elle a mis un visage sur trois faiblesses de la campagne de Trump : les femmes, les minorités et l’intimidati­on. Mais surtout, pour la première fois depuis son investitur­e, elle a défini les termes du débat électoral — ce que les chercheurs Michael Mazarr et John Kingdon jugent déterminan­t.

De fait, dans l’après-débat, le vent s’est mis à souffler dans les voiles démocrates. Confirmant en cela les travaux récents sur l’évolution des médias, la plus grande réceptivit­é de l’électorat (plus large que celui des primaires — c’est là la clé) a placé Donald Trump sur la sellette : déclaratio­ns misogynes, comporteme­nts adultères, malversati­ons de sa fondation, infraction­s à l’embargo contre Cuba, comporteme­nt erratique, les nouvelles tombent les unes après les autres. Les médias d’un bord à l’autre sur le spectre politique (USA Today, Arizona Republic, Cincinnati Enquirer,dallas Morning News ont officielle­ment désavoué Donald Trump) attendaien­t que quelqu’un d’autre sonne l’hallali pour sortir « les affaires ».

Si l’élection avait lieu demain, on pourrait imaginer un raz de marée électoral comparable à celui subi par Walter Mondale en 1984. Les sondages, dont celui de Public Policy Polling, donne Clinton gagnante dans plusieurs États clés, tandis que l’agrégat de Real Clear Politics lui accorde trois points d’avance au niveau national. Mais voilà. Il reste 38 jours avant l’élection. Et encore beaucoup d’inconnues. Il y a aussi les failles sismiques qui sillonnent un électorat tout à la fois plus polarisé et composé de plus d’indépendan­ts que jamais. D’abord, la génération du Millenium, plus mobile, plus versatile, moins religieuse, moins politisée, pèse désormais le même poids que la génération du babyboom. À une nuance près : les premiers étaient 46 % à voter en 2012, alors que les seconds se sont prononcés à 72 %. Le réveil des millennial­s, électrisés par Bernie Sanders, pourrait donc causer une commotion — s’il arrive. Même scénario chez les Hispanique­s, dont la part dans l’électorat atteint un record cette année, avec 3,2 millions de jeunes qui viennent d’avoir 18 ans et 1,2 million de nouveaux citoyens naturalisé­s depuis 2012. Et plus encore en raison du fait qu’il ne s’agit pas d’un ensemble homogène qui se déplace d’un bout à l’autre de l’échiquier politique, mais d’une communauté hétérogène dont la caractéris­tique commune est un faible taux de participat­ion (13 points sous le taux national en 2012). Le cas de la Floride — État phare de l’élection de 2000 — est emblématiq­ue de ces craintes pour l’équipe Clinton. Dans cet État-clé, les Hispanique­s représente­nt plus de 15 % et les Afro-américains, plus de 13 % des électeurs inscrits. Et dans ce dernier cas, le Parti démocrate veut surtout éviter que les désenchant­és — particuliè­rement dans les États pivots — restent à la maison le 8 novembre. C’est la raison pour laquelle Barack Obama y a prévu deux apparition­s avant l’élection. Il avait remporté 95 % de ce vote en 2008 et en 2012 — Hillary Clinton est 10 points en dessous : les démocrates ne prennent pas ça à la légère.

Il leur reste à tirer profit du fait que leur candidate a réussi le test de« l'amabilité » lundi dernier, prouvant que, contrairem­ent aux recherches récentes, les qualités de l’individu pourraient encore prévaloir sur la polarisati­on et la partisaner­ie.

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