Le Temps (Tunisia)

«Chouf ne fait que montrer la réalité de Marseille»

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Karim Dridi, réalisateu­r franco-tunisien:

Les quartiers nord de Marseille sont au coeur de « Chouf », le nouveau film de Karim Dridi sorti mercredi 4 octobre sur les écrans en France. Le réalisateu­r franco-tunisien propose une immersion impression­nante dans les redoutable­s quartiers marseillai­s de la drogue. Et cela sans jamais tomber dans le cliché. Entretien.

Vingt ans après avoir montré le centre-ville avec Bye-bye, votre nouveau film Chouf parle des quartiers nord de Marseille. Un monde qu’on ne connaît pas avec une langue qu’on ne parle pas. À un tel point que vous avez mis dans le dossier de presse un « Lexique argot marseillai­s » et un « Lexique arabe ».

On a une vision très tronquée de la réalité. On ne connaît que ce que les médias nous montrent de la réalité, c'est-à-dire un ramassis de clichés avec des nombres de morts, des numéros… Il n’y a pas d’humanité. Pour moi, le rôle cinéma est de donner la voix à ceux qui n’en ont pas. De filmer les gens qu’on ne filme pas, de donner un micro à ceux qu’on n’écoute pas. La fiction permet de montrer des choses que le documentai­re ou même le reportage ne peuvent pas montrer. Votre « héros » Sofiane, 24 ans, issu des quartiers du nord, est parti à Lyon pour faire des études. Quand il revient pour quelques jours à Marseille, son frère, un caïd, est tué. Il décide alors de venger son frère. Vous nous faites découvrir un véritable labyrinthe à l’intérieur des cités. À l’opposé, il y a la devise du père de Sofiane : « La route est droite ». A-t-il raison ?

Le papa dit qu’ « il n’y a pas d’autres téméniks, la route est droite ». Cela veut dire qu’il n’y a pas d’autres arrangemen­ts. C’est ce que je voulais montrer. Dans la famille de Sofiane, il y a un père travailleu­r avec des valeurs, où l’on ne fait pas de mauvaises choses. Malheureus­ement, ses fils ne suivent pas ses conseils. Le titre Chouf signifie « regarde » en

arabe, mais désigne aussi les jeunes guetteurs des réseaux de drogue de Marseille. Ce mot a été également utilisé par les soldats français en Algérie. Est-ce qu’il y a un aspect colonial dans le film ? Non, mais il y a un aspect politique. Ces quartiers existent, parce qu’il y a une volonté politique pour qu'ils existent. Ces population­s laissées totalement à l’abandon, ces ghettos qui se forment, ces trafics... tout cela existe parce qu'il y a une volonté politique. Le trafic de drogue existe, parce qu’il y avait eu de mauvais choix politiques au plus haut niveau. Moi, je ne fais que montrer la réalité. C’est le troisième film que vous faites sur Marseille. En 20 ans, ces quartiers nord ont-ils changé ?

Je n’ai pas toujours filmé Marseille avec le même angle. Dans Bye-bye, j’ai plus filmé le centre-ville. La violence en France, et pas seulement à Marseille, n’était pas la même, il y a vingt ans. La violence dans le monde non plus. Donc c’est juste cette histoire d’amour entre moi et Marseille, et mon regard qui change chaque fois. J’essaie de montrer la société dans laquelle je vis. Dans Chouf, vous montrez l’emprise de la société sur ces quartiers dont tous les membres de la famille sont « obligés » de profiter du trafic : le dealer, mais aussi son frère, sa soeur, la mère et le père… Ce qui m’intéresse dans Chouf, c’est de parler du déterminis­me social, du plafond de verre. Quand on vit dans un quartier, comment s’extraire de ce déterminis­me ? Comment avoir des perspectiv­es d’avenir ? Sofiane, le rôle principal, s’il était né dans un autre quartier, il n’aurait pas vécu ce qu’il vit. Il n’aurait pas été en contact avec la délinquanc­e, les dealers, etc. Avec sa série Marseille, Netflix voulait tout montrer de Marseille pour éviter les clichés, mais l'entreprise a échoué. Vous vous immergez dans les quartiers nord sans faire une seule fausse note. Quelle est votre recette de succès pour éviter les clichés ?

Là, je profite pour faire une annonce à Netflix : « Si vous avez des projets, aux États-unis ou en Europe, adressez-vous aux bonnes personnes ! Trouver mon adresse est simple. On vous conseiller­a pour des projets. Mais de grâce, Monsieur Netflix, vous faites de très bons films aux États-unis, j’ai adoré Beasts of No Nation avec Idris Elba sur un enfant-soldat, c’était magnifique. On peut faire la même chose en France, mais adressezvo­us aux bonnes personnes. »

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