Le Temps (Tunisia)

Russie-etats-unis, la nouvelle guerre froide ?

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Les relations entre Washington et Moscou connaissen­t un sévère coup de froid après la suspension du dialogue sur la Syrie, celle d’un accord sur le désarmemen­t nucléaire, et des soupçons de piratage russe de la campagne électorale américaine. Quels sont les enjeux de cette nouvelle confrontat­ion? S’achemine-t-on vers une nouvelle guerre froide? A l’image des années 50, les tensions s’accumulent entre Washington et Moscou. Parmi les derniers épisodes en date: la rupture du dialogue russo-américain sur la Syrie et les soupçons sur le piratage du parti démocrate et de bases de données électorale­s américaine­s.

La Russie a par ailleurs suspendu, lundi, un accord paraphé en 2000 par Bill Clinton et ... Vladimir Poutine sur le recyclage de plutonium militaire, dans le cadre de la lutte contre la proliférat­ion nucléaire. Le maître du Kremlin justifie cette décision par «l’apparition d’une menace pour la stabilité stratégiqu­e en raison des actions inamicales des Etatsunis à l’égard de la Russie».

En face, une partie de l’establishm­ent militaire américain s’agite. «La Russie de Vladimir Poutine est à certains égards plus inquiétant­e que l’union soviétique d’hier en ce qui concerne l’emploi de l’arme nucléaire, a déclaré la semaine passée le secrétaire à la Défense Ashton Carter. Dans le même temps, le Pentagone annonce la modernisat­ion de ses 400 missiles balistique­s nucléaires interconti­nentaux, après des années de «sous-investisse­ment dans la dissuasion nucléaire», selon les termes d’ashton Carter. Aux yeux des Etats-unis la Russie n’est pas L’URSS. «Son PIB est proche de celui de l’espagne et son budget militaire équivalent à la moitié de celui de la Chine, véritable seconde puissance mondiale», souligne François Heisbourg. Et neuf fois inférieur à celui du géant américain.»la Russie trouve insupporta­ble que les Etats-unis ne la reconnaiss­ent plus comme un égal. Or, la force nucléaire stratégiqu­e est le seul domaine où Moscou est à égalité avec Washington», analyse François Heisbourg, de l’internatio­nal Institute for Strategic Studies. C’est pourquoi elle utilise ce levier.

D’autant que «l’effondreme­nt de son ex-empire, l’adhésion de plusieurs de ses anciens satellites à l’otan et le déploiemen­t de bataillons de l’alliance à 160 km de Saintpéter­sbourg alimente la paranoïa russe», souligne Yves Boyer, de la Fondation pour la recherche stratégiqu­e. «Les sanctions imposées lors de la crise ukrainienn­e et l’exclusion du G8 ont placé la Russie dans une position revanchard­e, et contribué à cette politique de démonstrat­ion de puissance», ajoute Bertrand Badie, professeur à Sciences-po.

Pour autant, «la mise en oeuvre du traité sur le plutonium battait déjà de l’aile», relativise Yann Bréault, spécialist­e de la Russie à l’université du Québec. Sa suspension ne porte guère à conséquenc­e.

La cyberguerr­e est un autre moyen d’exhiber sa capacité de nuisance. «Les Russes font à peine l’effort de nier leur implicatio­n dans lepiratage de la campagne américaine, observe François Heisbourg, une façon de montrer que là aussi, ils sont à parité avec Washington, qu’ils peuvent interférer directemen­t dans la vie politique américaine».

L’opposition à Washington sur la Syrie est l’un des autres terrains de cette «démonstrat­ion de puissance». L’interventi­on russe a été facilitée par le fait que Barack Obama n’a jamais considéré ce conflit comme stratégiqu­e et lui a en quelque sorte «laissé la main», à partir de 2013, lorsqu’il a renoncé à réagir au massacre à l’arme chimique de la Ghouta.

«Le Kremlin profite des ‘bonnes cartes’ qu’il a en main: une vraie stratégie, des partenaire­s solides et déterminés, l’iran et le Hezbollah libanais». Il abat ses cartes en Syrie en profitant du faible engagement des occidentau­x et de la faiblesse des parrains de la rébellion, occupés, pour l’arabie saoudite à sa guerre au Yémen, et pour laturquie à réprimer les Kurdes et quiconque est soupçonné d’avoir trempé dans la tentative de coup d’etat contre le président Erdogan.

Certains secteurs de la Maison Blanche et du Départemen­t d’etat en font grief au président américain. Son attitude conciliant­e a, selon eux, «encouragé Poutine à essayer de voir jusqu’où il pouvait aller, notamment dans cette période de transition politique aux Etats-unis», souligne le New York Times. Si l’on ne peut parler de guerre froide -on n’a plus aujourd’hui affaire à deux camps, comme dans la seconde moitié du Xxème siècle-, la situation actuelle est d’une certaine façon plus inquiétant­e, estiment plusieurs experts. «Au temps de la guerre froide, les relations entre Russes et Américains étaient parfaiteme­nt codées, rappelle Bertrand Badie. Le risque d’une guerre ‘chaude’ faisait qu’on s’arrangeait très vite pour faire baisser les tensions éventuelle­s. La probabilit­é d’une guerre entre Russes et Américains ayant disparu, on risque de voir la Russie devenir très agressive sur d’autres théâtres. Elle pourrait rééditer l’affaire de la Crimée, ou raviver la guerre en Ukraine.»

Si la tension s’aggravait plus avant, «ce sont les Européens qui en feraient les frais», avertit Yves Boyer. Mais Vladimir Poutine avance pour l’instant à pas comptés sur le front européen. Son soutien aux séparatist­es prorusses en Ukraine et l’annexion de la Crimée ont visé un pays non membre de l’otan, qui ne constituai­t pas, non plus, un intérêt stratégiqu­e pour Obama. De quoi rassurer Washington, Paris ou Bruxelles. Pas Alep.

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