Le gouvernement face à un scenario à la grecque
Il faut trouver 6 milliards de dinars pour boucler la fin de l'année 2016
La majorité des spécialistes et autres experts en économie sont unanimes à dire que la Tunisie est en train de passer par un scenario à la grecque, sachant que la Grèce avait bien connu la faillite. Ce que risque de connaître notre pays dans un proche avenir si des mesures aussi énergiques qu’urgentes ne sont pas prises. Reste que la Grèce a pu éviter le purgatoire, tout simplement, parce qu’elle avait la puissante Union Européenne derrière elle qui lui avait prodigué soutien politique et financier tout en y mettant la pression pour l’obliger à faire redresser la barre afin de se maintenir dans le système européen. Or, la Tunisie n’a pas une Union Européenne derrière elle pour l’accompagner et lui renflouer les caisses. La Tunisie n’est pas l’egypte où les milliers de milliards des pays du Golfe ont coulé à flots après la chute de Morsi, permettant à Al Sissi de réussir son coup de force contre les frères musulmans.
Il faut dire qu’en Tunisie, à force de vouloir contenter tout le monde, on a fini par ne donner satisfaction à aucune partie. Ni les instances financières internationales, ni les Qataris qui tiennent à une participation plus effective et plus franche des islamistes au pouvoir, ni les Saoudiens et les Emiratis qui auraient voulu, carrément, une mise à l’écart d’ennahdha. A remarquer ici, que si le FMI nous laisse tomber faute de suite positive et favorable à ses exigences et d’application rigoureuse des réformes qu’il exige, il faudrait dire, alors, « adieu », à toute éventuelle aide ou de probables crédits. En plus clair et en un mot, personne ne nous accordera de crédit. Comment faire? Il ne reste plus pour le pays que de compter sur ses propres moyens et sur ses ressources. Cela va-t-il être possible? Oui, disent les mêmes experts, pourtant pessimistes. Oui, à condition que toutes les composantes de la société tunisienne y mettent du leur en consentant les sacrifices qu’il faut. L’expert, Ezzeddine Saïdane, qui avait prévu exactement la crise actuelle sans que personne ne le croie, estime qu’il faut d’abord procéder à un diagnostic vrai et honnête en répondant à la question suivante: Comment en est-on arrivé jusque cette impasse ? Pour lui, les divers gouvernements successifs depuis la Révolution du 14 janvier 2011, n’ont fait que jouer aux sapeurs-pompiers en se contentant d’éteindre les foyers d’incendie et de parer au plus pressé. Mais aucune équipe gouvernementale n’a mis au point un vrai programme avec des solutions sur le moyen et le long terme. Aucun gouvernement n’a eu le courage de dire la vérité en face au peuple afin de lui faire comprendre la conjoncture difficile et lui faire accepter d’éventuelles décisions douloureuses. Chacun se contentant juste de dépoussiérer sans aller au fond des choses tout en accusant son prédécesseur de lui avoir laissé un legs lourd à assumer. Autrement dit, de report en report, il arrive un moment où la situation devient intenable et finit par exploser. Et c’est le cas de la Tunisie en ces moments. En 1986, la Tunisie avait connu une situation économique désastreuse, mais pas autant que celle que nous vivons aujourd’hui. Il avait fallu, pour s’en sortir, l’élaboration d’un plan d’ajustement structurel (PAS). Un plan de plus ou moins longue haleine qui avait permis au pays de finir par s’en sortir. Or, ce qui se passe, maintenant, c’est qu’aucune partie n’est prête à accepter de consentir des sacrifices. « Pourquoi moi et pas les autres », a l’air de dire chaque partie. C’est la réponse affichée par l’union générale tunisienne du travail (UGTT) à la proposition faite par Youssef quant à un éventuel gel des augmentations salariales jusqu’en 2019. La centrale syndicale estime que l’etat doit honorer ses engagements et assumer les signatures apposées sur les documents d’accord pour les majorations des salaires, sachant en passant que la masse salariale a plus que doublé en l’espace de cinq ans, ce qui est énorme et incompréhensible selon les spécialistes. Mais L’UGTT a raison, aussi, de faire des objections dans la mesure où elle est persuadée que l’etat doit avoir des rentrées supplémentaires d’argent grâce à une meilleure efficacité fiscale et à une meilleure organisation des marchés parallèles. C’est l’éternelle question: qui est venu en premier, l’oeuf ou la poule ? Une remarque importante est avancée, à ce propos, par les experts, en l’occurrence qu’il ne faut pas oublier que tous les accords signés avec la Centrale syndicale l’ont été sous la pression et la menace face à des gouvernements, généralement précaires et fragiles. Et en ces mêmes moments, les mêmes gouvernements faisaient preuve de laxisme face aux détenteurs de l’argent et aux grands barons de la corruption. Résultat au bout de la course: L’etat n’a jamais réussi à améliorer ses recettes tout en continuant ses largesses en matière de dépenses.
Où va-t-on si l’on sait qu’il faut trouver 6 milliards de dinars pour boucler la fin de l’année 2016 en cours? Un montant que l’on ne peut avoir sans avoir donné satisfaction aux exigences du FMI afin qu’il nous débloque les 2,3 milliards de dollars. Et une réponse positive passe obligatoirement par le feu vert des syndicats pour geler les salaires. Mais, jusqu’à présent, L’UGTT refuse catégoriquement alors qu’il nous reste à peine une semaine pour voter la loi des finances ! Un grand dilemme face auquel se trouve Youssef Chahed et qu’il doit trancher en l’espace de quelques jours. Faudrait-il opter pour un état d’urgence économique, comme le suggèrent certains pour imposer des mesures draconiennes avec tout ce que cela comporte comme risque de déstabilisation sociale.
Il faut dire que c’est, justement, cette peur de toucher au climat social, que l’on a passé cinq ans durant sans pouvoir appliquer les lois et que l’etat a toujours reculé même face à quelques dizaines de personnes, comme c’est le cas pour la production de phosphate, acceptant ainsi de perdre des milliards de dinars au lieu d’appliquer la force de la loi pour le bien de la majorité. Mais à notre humble avis, si on ne peut reprocher grand-chose au gouvernement de BCE en 2011 qui en 7 mois, il a eu à gérer l’anarchie, le flux des réfugiés de Libye et l’organisation des élections en octobre 2011, le réel tort revient au gouvernement de la Troïka et à l’assemblée nationale constituante (ANC), dans le sens où elle avait juste la mission de préparer la Constitution et mettre en place les différentes instances constitutionnelles sans réelle prise de pouvoir, car la logique voulait que cette période après les élections de 2011 ne dépasse pas plus d’un an conformément au décret portant organisation desdites élections.
Mais les élus, sous la férule d’ennahdha, en avaient décidé autrement réalisant leur « coup d’etat » en annulant l’effet du décret du 6 août 2011 qui leur avait permis d’être là, et de s’adjuger une durée illimitée qui, d’un an, est passée à plus de trois ans !
Voilà le diagnostic des origines de la crise que nous vivons aujourd’hui. Imaginons, un seul instant que L’ANC n’est restée qu’un an comme l’exigeait la loi et qu’un gouvernement de technocrates, au lieu de celui d’ennahdha, s’était chargé de liquider les affaires courantes comme l’avait fait Mehdi Jomâa, plus tard. On se serait retrouvé, alors, fin 2012 avec un gouvernement définitif, soit deux ans entiers de gagnés. Mais maintenant, nous devons composer avec la réalité. Et c’est Youssef Chahed qui doit gérer cet imbroglio. Alors, en ces moments où chacun y va avec ses cris alarmistes, il serait bon que le chef du gouvernement sorte et expose et la situation et les divers scénarios que nous sommes appelés à affronter avec les solutions à proposer.