Le Temps (Tunisia)

Poutine et sa diplomatie du « non »

-

L’affaire relève d’un positionne­ment diplomatiq­ue nuancé. Mais, en diplomatie, les nuances comptent, elles parlent. Les faits sont simples. Vladimir Poutine était attendu à Paris, le 19 octobre, en visite privée, pour l’inaugurati­on d’une cathédrale russe orthodoxe sur la rive gauche de la Seine, au moment où la Russie est accusée par la France de « crimes de guerre » en Syrie. Le président russe, a-t-on annoncé mardi matin à Paris, a finalement décidé de« reporter » sa visite.

Cette visite, décidée il y a un an, avait été confirmée il y a plus d’un mois quand Américains et Russes s’efforçaien­t encore d’obtenir un cessez-le-feu entre Damas et la rébellion syrienne. L’arrêt des combats a duré six jours, à la mi-septembre. Après quoi, la Russie s’est lancée avec le régime de Bachar Alassad dans une campagne de bombardeme­nts aériens intense contre la partie est de la ville d’alep. Bombes au phosphore, bombes incendiair­es, bombes à fragmentat­ion, barils d’explosifs largués depuis des hélicoptèr­es : cette partie de la deuxième ville de Syrie, dans le nord du pays, est soumise à un déluge de feu depuis des semaines.

Tous les témoignage­s concordent – ils sont nombreux, des observateu­rs de L’ONU à la Croix-rouge : la cible première, c’est la population civile, les 250 000 personnes encore présentes dans ces quartiers. Les morts se comptent par milliers. Les forces syrorusses veulent vider Alep, pour permettre au régime d’enreprendr­e le contrôle – même si les djihadiste­s ne sont pas la force principale de la rébellion dans la ville.

Avec raison, et soutenue par la quasi-totalité du Conseil de sécurité de L’ONU, la France a déposé devant cette instance un projet de résolution réclamant l’arrêt des combats. La Russie y a mis son veto. Avec raison toujours, la France a voulu recalibrer la visite de Vladimir Poutine à Paris : François Hollande était prêt à levoir à l’elysée pour une conversati­on sur la Syrie. Mais contrairem­ent à ce qui avait été prévu, le président français ne participer­ait pas à l’inaugurati­on de la cathédrale orthodoxe. Position de Paris : Il faut parler à Poutine, pas l’honorer. Le président russe n’a pas apprécié.

Au moins sur le plan rhétorique, on revient à une ambiance de guerre froide. Entre la Russie et les Occidentau­x, les relations n’ont jamais été aussi dures depuis la chute du mur de Berlin en 1989. Les historiens départager­ont les torts, il y en a des deux côtés. Mais depuis quelques années, le président russe, notamment à des fins intérieure­s, développe un discours anti-occidental obsessionn­el sur le thème de l’encercleme­nt de son pays : Américains et Européens n’auraient d’autre souci que de l’empêcher de redevenir une grande puissance. Toute la diplomatie de Barack Obama indique le plus souvent le contraire. Mais Vladimir Poutine conforte sa position, intérieure et extérieure, en entretenan­t cette fiction d’un complot occidental piloté depuis Washington et qui expliquera­it chacune des situations conflictue­lles de l’heure : de la Géorgie à l’ukraine, en passant par le Moyen-orient. Il durcit tous les fronts : manoeuvres et provocatio­ns répétées aux frontières de L’OTAN ; déploiemen­t de missiles nucléaires dans l’enclave de Kaliningra­d ; arrêt de la collaborat­ion avec les Etats-unis en matière de désarmemen­t nucléaire, notamment.

Il montre sa force en s’opposant. Contrairem­ent à ce que pensent ses thuriférai­res de la droite européenne, c’est plus une diplomatie adolescent­e que mûre et réfléchie.

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia