Comment pallier au grave déficit d’application de la loi ?!
Abderrahmane Ibn Khaldoun, historien, sociologue et penseur tunisien a écrit dans sa célèbre Al Muqaddima : «la « justice est le fondement de toute civilisation ». Elle constitue, également, une condition sine qua non pour l’instauration d’un Etat de droit et des institutions. Elle est, aussi, la garante de la démocratie et du respect des droits de l’homme. La réciproque est vraie dans le sens où toute justice, qui veut être respectée et crédible, a besoin de mécanisme d’être appliquée par tous les justiciables dont notamment les récalcitrants. Et c’est là qu’intervient le pouvoir exécutif qui dispose de la force pour imposer la loi et appliquer les sentences rendues par les magistrats.
Il va de soi, en effet, que si on n’applique pas les lois et si les jugements restent lettre morte et sans concrétisation, ce serait la fin de toute civilisation puisque la vie serait, alors gérée et régie par les lois des plus forts ou par ce qu’on appelle plus communément la loi de la jungle qui sévit dans les situations d’anarchie.
Or, ce qui se passe en Tunisie, depuis un certain temps, c’est un début d’état d’anarchie et ce ne sont sûrement pas les exemples qui manquent. Le dernier en date étant ce qui s’est passé, dimanche 9 octobre courant à Jemna dans le gouvernorat de Kebili. Un groupe de citoyens, qui s’avère être composé d’anciens membres des Ligues dites de protection de la révolution dans la région, s’est approprié deux oasis propriétés de l’etat et les a exploités, cinq ans durant, ce qui lui a permis d’engranger plus de six millions de dinars d’après les chiffres avancés par le secrétariat d’etat chargé des Domaines de l’etat. Priés de régulariser cette situation par l’établissement d’un contrat de location desdites oasis, les membres du groupes organisés, désormais, en association, refusent net et, malgré le jugement du Tribunal de première instance de Kebili, ils ont procédé à la vente aux enchères qui a rapporté le montant de 1,7 million de dinars.
Il faut dire que cette association a été confortée dans sa position hors-la-loi par des élus de l’assemblée des représentants du peuple et par des responsables de partis politiques dont certains appartiennent à des formations de la coalition au pouvoir. Samia Abbou avance l’argument fallacieux et douteux que le jugement en référé n’interdisait que la vente du 18 septembre, mais elle ne précise pas si la deuxième vente du 9 octobre avait été annoncée suffisamment à l’avance pour permettre au Contentieux de l’etat d’engager un nouveau procès en référé ! Pire encore ! Des députés et autres hommes politiques sont allés jusqu’à affirmer que la terre appartient à celui qui la travaille. Mais le comble est venu de Lotfi Zitoun, éminence grise de Rached Ghannouchi à Ennahdha. Il déclare que « les agissements des habitants de Jemna sont, certes, contraires à loi, mais ces derniers ne sont pas fautifs, car c’est plutôt la loi qui n’a pas su suivre les évolutions intervenues dans le pays ». Et d’enchaîner : « Personnellement, je ne suis pas contre l’initiative des citoyens à l’oasis de Jemna et je reste persuadé que si ses résultats étaient évalués d’une manière objective et que si elle était placée dans un cadre légal, cette action pourrait être généralisée avec succès à bien d’autres régions ».
Il s’agit, là, d’une prise de position grave de la part d’un responsable participant au pouvoir qui aurait dû, au contraire, se soucier du respect des lois et des biens de l’etat ? C’est à se demander si M. Zitoun n’est pas en train d’inciter à l’irrespect de toutes les lois considérées comme étant « arriérées » ? Ne fallait-il pas amender ces lois en cas où elles sont vraiment dépassées ?
Il est malheureux de constater que les lois et les jugements des tribunaux sont bafoués et jetés dans les poubelles par ceux censés être les premiers à les défendre. Pourquoi reprocher cela aux autres ?! En effet, l’instance Vérité et Dignité, présidée par Sihem Ben Sedrine, chargée de faire asseoir la justice transitionnelle, ne reconnaît pas les verdicts prononcés par les tribunaux de la justice ordinaire.
En effet, la présidente de cette « super Instance », a fait fi d’au moins deux jugements du Tribunal administratif en faveur de son vice-président, Zouheir Makhlouf, sans oublier qu’elle se débarrasse de toute personne qui s’oppose à elle ou critique ses agissements qualifiés de « dictatoriaux ». On peut mentionner, également, le comportement des ministres qui avaient négocié avec le groupe de Kerkennah et qui, pour parvenir à un accord avec eux, n’ont pas hésité à prendre des engagements en vue de stopper toute poursuite judiciaire à l’encontre de ceux qui ont agressé les agents de l’ordre, brûlé leurs postes et jeté leurs véhicules à la mer ! Le souci majeur est que si tous ceux s’étant approprié les 68 mille hectares de terres domaniales, forts de ce fâcheux précédent, se mettaient à agir de la même sorte que ceux de Jemna, qui pourra les arrêter, surtout qu’on est sûr que les Samia Abbou, Hamma Hammami et bien d’autres élus et responsables politiques vont s’amener pour les soutenir … On a peur, donc, de l’effet domino et du cercle vicieux que peut entraîner le cas de Jemna.
Pour restaurer l’autorité de la loi et pour espérer faire passer ses réformes, douloureuses mais nécessaires, Youssef Chahed aurait dû, d’après les experts, les faires précéder de trois ou quatre mesures immédiates et pratiques. On citera, notamment : -La prise de décisions face à la corruption qui a proliféré sous l’ère de la Troïka, en sanctionnant certaines têtes dont il faut révéler les identités.
-La remise, sur la scène, des affaires des assassinats tout en dénonçant, notamment, les parties responsables des événements du 9 avril, des tirs à la chevrotine à Siliana, de l’attaque contre l’ambassade américaine et en les poursuivant judiciairement. -L’opposition au commerce parallèle et à la contrebande surtout que les dossiers sont déjà prêts et bien ficelés grâce au travail sérieux entrepris, d’abord, par Samir Annabi qui a été récompensé par sa mise à l’écart, puis par Chawki Tabib qui assure avoir des noms. -La restauration du prestige de l’etat par le biais de l’annonce de décisions énergiques contre les constructions anarchiques, contre les agresseurs de l’environnement et contre les contrevenants au code de la route et auteurs d’accidents graves. -L’exigence immédiate du paiement des impôts pour tous ceux qui tergiversent à s’en acquitter. Bien entendu, personne ne pourra contester de pareilles mesures sauf, peut-être, ceux qui n’ont pas la conscience tranquille ou qui ont des choses à se faire reprocher. Et comme dit le proverbe : « celui qui se sent morveux se mouche ». Car nous restons persuadés que le pays se trouve dans une situation de laxisme telle que plus tôt on agit, plus sera mieux et efficace. Surtout avant qu’il ne soit trop tard !...