Le roi Bhumibol est mort
Le roi de Thaïlande Bhumibol Adulyadej, mort hier, à l’âge de 88 ans, avait été couronné en 1950 sous le nom de Rama IX. Et la fin de ce règne interminable clôt un chapitre essentiel, dense et tumultueux de l’histoire de la Thaïlande. L’écrasante majorité des 67 millions d’habitants du royaume n’a jamais connu que lui, monarque à l’effigie omniprésente qui, très affaibli et malade depuis des années, était celui qui régnait depuis le plus longtemps au monde.
Le prince héritier Maha Vajiralongkorn, âgé de 64 ans, va succéder à son père, en l’honneur duquel une période de deuil d’un an a été décrétée, a annoncé le chef de la junte thaïlandaise.
Même si l’on tient compte de l’histoire saccadée et chaotique d’un pays qui a connu son lot d’épisodes tragiques et de ruptures marquantes, la mort de Rama IX est sans doute l’événement le plus important pour l’ancien royaume de Siam depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Pourtant, l’histoire de ce monarque au visage compassé, à l’expression éternellement triste, fut peut-être aussi celle de « l’homme qui ne voulait pas être roi », pour paraphraser le titre du célèbre roman de Kipling : né le 5 décembre 1927 à Cambridge, dans l’etat du Massachusetts (Etats-unis), parce que son père, le prince Mahidol, poursuit ses études de médecine à Harvard, il accède au trône par hasard quand il doit prendre la succession de son frère Ananda. Ce dernier vient alors d’être tué d’une balle dans la tête au palais royal de Bangkok, lors d’un « accident » resté mystérieux. D’aucuns avancent que cet épisode jamais élucidé aurait contribué à figer pour toujours le visage de ce roi très proche de son aîné en ce masque à l’expression détachée et lointaine. Auparavant, en 1933, Bhumibol avait suivi sa mère à Lausanne et fait ses études en Suisse où il se fit remarquer surtout pour ses dons de musicien et de dessinateur. Il gardera toute sa vie une passion pour le jazz, la trompette et la clarinette. Sa période suisse, où le jeune prince s’amuse et sourit encore, sera notamment marquée par un sérieux accident lors d’une virée en voiture de sportsur les bords du lac Léman : le futur roi y perdra un oeil. Il restera toute sa vie un parfait francophone : il y a encore une quinzaine d’années, installé sur un fauteuil dans son palais, il regardait tous les jours TV5, ignorant les chaînes de télévision anglosaxonnes.
La disparition de Bhumibol laisse la Thaïlande orpheline et désorientée, au terme de plus d’une décennie d’instabilité et de violences politiques marquée par deux putschs (2006 et 2014) et un massacre perpétré par les militaires dans le centre de Bangkok (2010). Le prince héritier Vajiralongkorn, né en 1952, a longtemps été perçu avec réticence par une grande partie de la population. La junte au pouvoir et l’oligarchie qui tire les ficelles de la politique thaïe n’ont pas peu oeuvré pour redorer le blason de ce personnage un peu fantasque qui, jusqu’à présent, préférait passer l’essentiel de son temps à Munich où il se rend régulièrement aux commandes de son propre Boeing.