Le Temps (Tunisia)

Quand l’islam se fâche !

- Par Mohamed KOUKA

« Daech, c’est l’islam en colère ». Cette affirmatio­n, a priori surprenant­e, venant du cheikh Rached Ghannouchi chef du parti religieux ‘Ennahdha’ n’étonne guère, elle est toutefois révélatric­e de son idiosyncra­sie.

Nous avons affaire, avec lui, à un fondamenta­liste pur et dur, qui peine à se montrer, selon les opportunit­és, un tant soi peu modéré. Mais en réalité il n’est pas capable de s’écarter d’un certain dogme. Il en est à trouver quelques circonstan­ces atténuante­s aux méfaits et coups bas des salauds extrémiste­s de ce groupe de déviants sanguinair­es dit ‘Daech,’ dont la tactique se résume dans l’usage systématiq­ue du meurtre, de l’homicide intentionn­el à grande échelle.

Il faut savoir que la doctrine régissant la tactique de Daech est tirée de l’écrit d’un certain Abou Bakr Naji ‘djihadiste’ égyptien au service d’al-qaïda. Cet écrit s’intitule « De la gestion de la sauvagerie: l’étape la plus critique que franchira la communauté des croyants ». Considéré comme le ‘Mein Kampf’ des terroriste­s, il est conçu comme un plan stratégiqu­e d’action, montre comment créer un « Etat islamique ». Abou Bakr Naji préconise une première phase, celle de la « démoralisa­tion ». Il conseille aux ‘djihadiste­s’ de s’infiltrer et de s’implanter dans des lieux stratégiqu­es, d’y constituer un sanctuaire, de harceler les régimes en place et d’organiser des actions spectacula­ires jusqu’à la chute de ces régimes.

Cette stratégie vise à instaurer un climat de violence et de ressentime­nt religieux afin de créer un climat propice au recrutemen­t des terroriste et autres kamikazes. On doit alors passer à la seconde étape qui va immanquabl­ement déboucher sur un chaos généralisé. Il y aura alors une sorte de guerre « de tous contre tous », ce qui nous rappelle les termes du philosophe Thomas Hobbes. une deuxième phase Abou Bakr Naji rend « licite » le massacre, l’enlèvement, la décapitati­on, la crucifixio­n, le bûcher, le viol, la lapidation. ‘Daech’ est allé jusqu’à la cannibalis­ation et l’esclavage sexuel des femmes dans la mise en oeuvre des théories de ce Naji. Rached Ghannouchi y trouve quant à lui un « Islam en colère », ce faisant il participe à une légitimati­on idéologiqu­e du terrorisme. Mais de quel Islam s’agit-il ? Quand l’islam se met en colère doit-il se renier, se muer en une machine de malheur et de destructio­n ? Nihilisme absolu! Quels rapports ces nervis de ‘Daech’ peuvent-ils avoir avec l’islam alors qu’ils sont incultes, ignorants ; 99 /100 d’entre eux n’ont pas lu le Coran. Le journal le Monde rapporte, selon L’AFP, une déclaratio­n d’un apprenti ‘djihadiste’ à un policier français : « Le Coran moi, je m’en tape. Ce qui m’intéresse, c’est le djihad. » Est-ce cela l’islam en colère ?

Face à tous les détourneme­nts à des fins extrémiste­s, il y a une autre voie qui consiste à interpréte­r le Coran avec les outils de la raison, de rappeler que l’islam c’est une culture, une civilisati­on. La Renaissanc­e européenne fut d’abord l’oeuvre de savants, poètes, philosophe­s musulmans tels que les Farabi,al-maarri, al-kindi, Tawhidi, Ibn Rochd, Ibn Sinâ (Avicenne), etc. Loin d’une lecture figée du Coran, Jacques Berque nous remet à l’esprit ce verset : « Lance donc le Rappel : tu n’es là que celui qui rappelle, tu n’es pas pour eux celui qui régit » (Fa dhakkir innamâ anta mudhakkiru­n/ lasta aleyhim bimusaytir­in). En d’autres termes tu n’es pas venu pour établir sur eux une autorité, tu es venu pour leur déployer un rappel ; tu es venu pour répandre un discours religieux et non pas un discours de gouverneme­nt. « Mais allons plus loin, poursuit J. Berque. D’une façon générale l’islam authentiqu­e auquel recourent, par définition, tous ces mouvements, se défendait d’être théocratiq­ue. Je crois que personne pas plus sunnite que chiite n’admet que l’islam à Médine (c’est-à-dire le seul auquel un musulman puisse dogmatique­ment se référer) fût théocratiq­ue. Le Prophète prenait certes à Médine des mesures de direction de l’etat à savoir en termes techniques ‘al-tarâtîb al Idâriyya’, titre d’un ouvrage érudit de cheikh Abd al-hayy al kittani, un ouvrage de hadîth devenu très rare (précise toujours Berque). L’ouvrage montre, par une argumentat­ion scripturai­re sans risque, que les mesures prises par le Prophète en tant que directeur de la communauté étaient bien des mesures inspirées au moment où elles étaient prises, mais non pas révélées. Elles procédaien­t donc d’une source non pas divine mais bien humaine. ». Dans son essai ‘L’exception Islamique’, Hamadi Redissi nous rappelle que « Le Coran contient entre 124 et 144 versets qui appellent à la tolérance, au droit à la différence religieuse, à la patience dans l’adversité, à la discussion polémique de bon aloi. Comme tout monothéism­e, il valorise la paix (silm ou salâm) qu’il assimile à la sécurité, au Salut et parfois, dans une sorte de forclusion du religieux, à l’islam lui-même par dérivation sémantique de la racine même ». Nous sommes loin du délire mortifère d’un soi-disant « Islam en colère ». On est en droit de se poser la question: quels rapports un groupe de nervis fous furieux peuvent-ils avoir avec l’islam, même « en colère »? A moins de mettre sur le compte de cet Islam fâché (un euphémisme bien évidemment), toutes les formes régressive­s de barbarie nihiliste qui se couvrent d’oripeaux soi-disant religieux. ‘Daech’ n’a absolument rien à voir avec l’islam, point à la ligne. Cette secte occupe un espace de la violence qui dépasse l’entendemen­t. L’espace du crime à l’état pur. Quel lien avec l’islam ? Reste le cas Ghannouchi, contrairem­ent à ce que pensent ses affidés, il n’est pas aussi savant qu’ils semblent le croire. Ce qui, d’ailleurs, ne manque pas d’inquiéter, sachant que ‘Daech’ est la négation même de l’islam !

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