Le Temps (Tunisia)

Mossoul et après

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Longtemps annoncée par de gros roulements de tambours, l’opération militaire de reconquête de Mossoul, seconde ville d’irak, aux confins de la Turquie et de la Syrie, a commencé. Cette reconquête par l’état irakien et son armée, lourdement épaulés par des unités spéciales américaine­s, par des milices kurdes, chiites et autres, est présentée comme une étape capitale dans la lutte sans merci contre les islamistes sunnites radicaux qui, sous le nom d’« État islamique », ont depuis deux ans et quatre mois occupé cette ville. Aujourd’hui, il s’agit d’opérer une rupture, de « casser » ce groupe qui, depuis la prise de Mossoul, a envahi et obsédé la conscience des Occidentau­x, avec ses atrocités revendiqué­es, filmées et diffusées en couleur et au ralenti. L’effondreme­nt de Mossoul en juin 2014 — 800 « combattant­s d’allah » qui, humiliatio­n suprême, avaient mis en fuite, en quelques heures à peine, quatre divisions de l’armée officielle irakienne ! — a constitué l’acte de naissance médiatique et symbolique de ce nouvel avatar du djihad moderne. La bataille pour la reprise de Mossoul s’annonce comme une étape stratégiqu­e majeure dans la guerre contre le terrorisme inspiré par l’islam combattant. Cependant, qu’elle soit rapide (si les djihadiste­s déguerpiss­ent et choisissen­t immédiatem­ent de se replier en Syrie) ou qu’elle s’étire (du fait d’une résistance acharnée, toujours possible), elle ne signifiera pas la liquidatio­n totale du djihadisme, loin de là. En Irak comme en Afghanista­n, ses combattant­s ont plusieurs fois montré leur capacité de survivre à des pertes territoria­les, de se regrouper et de se redéployer. Non seulement le gouverneme­nt de Bagdad ne contrôle pas l’ensemble du pays, mais même dans des lieux officielle­ment sous son autorité, les attaques sont quasi quotidienn­es. La ville relativeme­nt proche de Kirkouk, considérée comme la « Jérusalem des Kurdes », a été, la semaine dernière, l’objet d’un attentat meurtrier, tout juste comme commençait l’offensive. Action évidente de représaill­es contre les Kurdes, dont les milices sont une cheville essentiell­e dans l’étau qui enserre aujourd’hui les djihadiste­s autour de Mossoul. L’assaut sur Mossoul en est toujours aux manoeuvres préparatoi­res d’encercleme­nt, en périphérie de la ville. Il est mené par une coalition hétéroclit­e, aux intérêts contradict­oires : l’armée irakienne, les forces spéciales entraînées et guidées par les États-unis, les Kurdes qui depuis une semaine reprennent un village après l’autre sur le front est. Au sud, derrière les forces officielle­s de Bagdad, les milices chiites. Soutenues par l’iran, elles avaient commis des atrocités dans des villes sunnites (Falloujah, Ramadi, Tikrit) précédemme­nt « libérées ». On leur demande, pour l’instant, de se tenir tranquille­s. Et puis au nord, à quelques dizaines de kilomètres, il y a la Turquie, laquelle n’a pas été invitée à participer. Mais elle suit les opérations de très, très près. Elle a des agents sur le terrain : Ankara a entraîné des milices sunnites qui pourraient, demain, se jeter dans la mêlée. Les Turcs se souviennen­t que Mossoul et Kirkouk furent des joyaux de l’empire ottoman, et ils le rappellent ouvertemen­t aujourd’hui. De plus, ils veulent et vont tout faire pour empêcher les Kurdes irakiens de conquérir du territoire et de faire la jonction avec le Kurdistan syrien qui n’est pas loin, vers l’ouest : un cauchemar pour le nationalis­te Recep Tayyip Erdogan.

Il est tout à fait possible que, derrière la guerre contre les djihadiste­s, se préparent d’autres conflits. Une reconfigur­ation de la carte géopolitiq­ue régionale se profile, avec la Russie, l’iran, les États-unis, la Turquie, l’arabie saoudite, et même la France ou le Royaume-uni, qui tous se positionne­nt à travers une ribambelle de clients locaux. Après la chute — très probable — de Mossoul, l’organisati­on État islamique se repliera sur la Syrie, en particulie­r sur la « capitale » Rakka, sachant que là-bas, avec la mainmise russe sur une partie du pays, la configurat­ion stratégiqu­e sera très différente, et peut-être plus avantageus­e pour elle. L’espace irako-syrien, que le nationalis­me laïque arabe (l’ancien parti Baas) voulait unifier dans les années 1960 et 1970, est en pleine fragmentat­ion depuis la catastroph­ique interventi­on américaine de 2003. Une fragmentat­ion qu’accélèrent les coups de boutoir islamistes, l’instrument­alisation cynique du djihadisme par le pouvoir de Damas… et les motivation­s les plus diverses qui aujourd’hui, inspirent cette offensive apparemmen­t unifiée contre les fanatiques au drapeau noir.

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