Le Temps (Tunisia)

La Cour pénale internatio­nale en crise après les départs en chaîne de pays africains

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Après le Burundi puis l’afrique du Sud, la Gambie a annoncé, le 26 octobre, qu’elle quittait la Cour pénale internatio­nale (CPI) de La Haye. Le coup est rude, car la procureure de la Cour, Fatou Bensouda, elle-même de nationalit­é gambienne, avait tenté de lui donner un nouveau souffle. Au-delà de la volonté de se mettre à l’abri de poursuites, ces défections en série traduisent une profonde crise de l’institutio­n chargée, selon son préambule, « de juger les crimes qui défient l’imaginatio­n et heurtent profondéme­nt la conscience humaine » : crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide. Parmi les 124 Etats parties à la CPI, 34 sont africains. Mais les élites de bon nombre d’entre eux accusent désormais la CPI de « chasse raciale ». De fait, la quasi-totalité des procédures ouvertes jusqu’ici ont visé des pays africains, et la première condamnati­on, prononcée au bout de dix ans, visait un chef de milice congolais, Thomas Lubanga. Certes, une enquête a été ouverte sur les crimes commis en Géorgie lors de l’attaque des forces russes en 2008, et d’autres pourraient l’être en Colombie ou en Palestine, mais elles ont peu de chance d’aboutir.

Depuis son entrée en fonctions en juillet 2002, la CPI est victime des limites de son statut. Après la création de deux tribunaux internatio­naux ad hoc pour l’ex-yougoslavi­e en 1993, puis pour lerwanda en 1994, la Cour de La Haye a concrétisé le rêve d’une justice pénale universell­e et permanente. D’où la prudence des Etats.

Selon ses statuts, la CPI ne peut lancer des poursuites que pour des crimes commis sur le territoire de pays ou contre des ressortiss­ants de pays qui en sont membres. Ceux qui craignent dedevoir rendre des comptes comme la Russie, la Chine, les Etats-unis, la quasi-totalité des pays arabes et Israël ont donc rejeté cette juridictio­n. Si le Conseil de Sécurité peut saisir la CPI contre un Etat non-membre – ce fut le cas pour le Darfour en 2005 ou la Libye en 2011 –, les bourreaux bénéfician­t de la protection d’un ou plusieurs des cinq membres permanents ne risquent pas grand-chose. C’est aujourd’hui le cas pour la Syrie.

Il n’est donc pas étonnant que les procédures se soient concentrée­s sur l’afrique et sur des responsabl­es subalterne­s, sauf quand l’émotion suscitée par l’ampleur des crimes a empêché tout veto. Ainsi, en 2009, le président soudanais Omar Al-bachir a été le premier chef d’état en exercice poursuivi pour « crimes contre l’humanité » et « génocide » au Darfour. Mais ce coup d’éclat du procureur de l’époque, l’argentin Luis Moreno Ocampo, a eu un effet inverse de celui recherché : il a décrédibil­isé un tribunal qui n’a pas les moyens de faire exécuter ses mandats d’arrêt. En se posant en victime de l’occident, l’homme fort de Khartoum a continué à parader aux sommets de l’union africaine, de la Ligue arabe ou de l’organisati­on de la Conférence Islamique.

Malgré ces difficulté­s, la CPI n’en reste pas moins un symbole pour tous ceux qui luttent pour la fin de l’impunité pour les dictateurs et massacreur­s de haut vol. Il a fallu plus de trois décennies pour que la Cour européenne des droits de l’homme gagne la crédibilit­é qui est aujourd’hui la sienne pour les 800 millions de citoyens des 47 pays membres du Conseil de l’europe. Mais les Etats concernés ont joué le jeu, et les opinions publiques aussi. Au contraire, la CPI semble encore incarner une justice hors sol, avec toutes les limites qui en découlent.

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