Le Temps (Tunisia)

Le Liban, une leçon de survie dans l'adversité

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Depuis deux ans, le Liban connaissai­t un vide institutio­nnel quasi total : pas de président, un gouverneme­nt et un Parlement intérimair­es. Il semble enfin sorti de cette longue parenthèse, qui a contribué à mettre le pays en faillite, avec l’élection par les députés, lundi 31 octobre, du général en retraite Michel Aoun à la tête de l’etat. C’est une bonne nouvelle et il faut souhaiter, sans trop d’illusions, qu’elle marque un renouveau de la présence de l’etat dans un pays qui en a besoin. Les Libanais le méritent, à plus d’un titre. Ils sont à peine plus de 4 millions et, depuis le début de la tragédie syrienne, ils ont accueilli un million et demi de réfugiés venus de leur malheureux voisin. On n’ose imaginer pareille situation quelque part en Europe ! Les Libanais sont d’autant plus exemplaire­s que l’aide internatio­nale est faible et que leur pays est divisé selon des lignes de fracture qui ressemblen­t à celles de la Syrie. Le risque est quotidien de voir le drame de la Syrie s’étendre en pays libanais. Mais les Libanais « tiennent ». Plus exactement, la société civile libanaise « tient ». Comme si ses douze à quinze années de guerre civile à la fin du siècle dernier prémunissa­ient le Liban contre un retour de la violence et de la guerre. Sagesse admirable à ce jour et qu’on ne salue pas assez, tant elle est singulière dans le chaos moyen-oriental.

Un affaibliss­ement du camp sunnite

La désignatio­n de M. Aoun, elle, est moins brillante. Elle est avant tout le reflet du rapport de forces régional dans l’affronteme­nt en cours entre, d’un côté, un camp sunnite (la branche majoritair­e de l’islam), regroupé derrière l’arabie saoudite, et, de l’autre, un camp chiite (la branche minoritair­e) piloté par la République islamique d’iran. Le premier veut la défaite du régime de Bachar Al-assad en Syrie, et le second, son maintien au pouvoir. Au Liban, régime parlementa­ire, la tradition veut que le président soit un chrétien maronite, le chef du gouverneme­nt un musulman sunnite et le président de la Chambre des députés un chiite. Agé de 81 ans, Michel Aoun, exchef d’état-major, est à la tête du plus grand parti chrétien. Après avoir longtemps guerroyé contre la Syrie et ses alliés libanais, il a finalement pactisé avec eux, notamment avec ce mini-etat dans l’etat qu’est le parti chiite Hezbollah – à la fois formation politique libanaise et puissante milice, armée par l’iran et déployée en Syrie au service de Bachar Al-assad. Sans l’appui du Hezbollah, M. Aoun n’aurait pas eu les voix requises. Il a aussi fallu le « revirement » du camp sunnite, jusque-là opposé à M. Aoun et qui, de guerre lasse, a accepté une forme de compromis : le premier ministre devrait être Saad Hariri. Ce geste traduit un certain affaibliss­ement du camp sunnite au Liban, qui voit son lointain protecteur, le royaume saoudien, délaisserq­uelque peu le théâtre libanais dans sa bataille avec l’iran pour la prépondéra­nce régionale. On ne s’y est pas trompé à Téhéran, où l’on a salué l’élection de M. Aoun comme une « victoire » pour les amis de la République islamique dans la région.

Pour les Libanais, la priorité, c’est la remise en route de l’appareil étatique, sa mobilisati­on au service d’une économie défaillant­e, bref un retour à une sorte de « normalité » gouverneme­ntale. Le reste, on verra demain, comme on dit souvent à Beyrouth, dans un mélange de sagesse et de fatalisme qui est une leçon de survie dans l’adversité.

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