Un symbole de la mémoire des arts en Tunisie
Il aurait eu cent ans en novembre 2016... Disparu en 1981, Mhamed Marzouki nous a légué une oeuvre monumentale et une somme essentielle en ce qui concerne les traditions orales en Tunisie. Accomplissant à lui seul le travail de la vénérable Rachidia pour
La Bibliothèque nationale accueillera le 25 novembre prochain une journée commémorant la mémoire de Mhamed Marzouki, l'un des grands animateurs de la scène culturelle tunisienne jusqu'à sa disparition en novembre 1981. En effet, de son vivant, Mhamed Marzouki fut à la fois un véritable homme-orchestre mais aussi une incontournable référence. Versé dans les arts populaires et les méandres de la tradition tunisienne, Marzouki a à son actif de nombreuses réalisations. Il est par exemple celui qui sut remettre à l'honneur la fameuse Geste hilalienne tout en opérant un infatigable travail de recueil de la mémoire populaire. Poète lui-même, il s'est remarquablement investi dans une longue investigation qui lui a permis de réunir au ministère des Affaires culturelles une mémoire dispersée et menacée de disparaitre avec ses tenants dans l'oralité.
L'infatigable défenseur de l'oralité tunisienne
Mhamed Marzouki, au-delà de cette vocation de mémorialiste des arts populaires dans leur ensemble était demeuré lié aux terroirs tunisiens, notamment celui du Nefzaoua dont sa famille est originaire. Là encore, son travail de terrain demeure une lumineuse référence grâce aux compilations et aux transcriptions de la tradition orale dans cette région du sud-ouest de la Tunisie. Le travail de Marzouki est parfaitement insécable de
notre connaissance de ce volet essentiel de notre patrimoine national. Allant à la rencontre de nos griots, il a pu préserver leur trace et devenir ainsi un véritable baobab, un fier palmier, qui a sauvé de la disparition et de l'oubli des secteurs entiers du savoir populaire, cette encyclopédie paysanne qui chevauche les siècles. Tâtant de tous les arts, Mhamed Marzouki a été un parolier reconnu qui, entre autres, a écrit quelques unes des plus belles chansons de la diva Saliha. Homme de radio, il demeure l'équivalent pour la culture populaire de cet autre monument que fut Abdelaziz Laroui. Scénariste et dialoguiste, il a participé pleinement à la naissance du cinéma tunisien. Dramaturge, il laisse aussi un théâtre dans son inoubliable sillage.
En outre - et ce n'est pas le moindre de ses legs -, Marzouki est le fondateur du festival du Sahara ainsi que du musée de Douz. C’est dire les flèches nombreuses à l'arc de cet intellectuel organique qui s'est totalement immergé dans la défense de la culture tunisienne et reste, cent ans après sa naissance et plus d'un quart de siècle après sa mort, une balise importante du savoir et de la tunisianité. L'hommage à Mhamed Marzouki prendra la forme d'une exposition de certaines de ses oeuvres avec aussi des manuscrits et des objets personnels dont la qualité et le nombre pourraient motiver la création d'un musée à sa mémoire à Tunis ou dans le sud tunisien qu'il aimait tant. Pourquoi d'ailleurs ne pas consacrer une section du musée de Douz dont il fut
le fondateur à Mhamed Marzouki. Ce ne serait que justice et cet hommage de la Bibliothèque nationale est un pas dans la bonne direction.
Témoignages et hommage pour l'oeuvre de Marzouki
Par ailleurs, cette journée du 25 novembre sera l'occasion d'une rencontre autour de la vie et l'oeuvre de Marzouki. Plusieurs témoins s'exprimeront à l'image de Béchir Ben Slama, Frej Chouchane ou Abdelwahab Dakhli. De même, Mabrouk Manai, Jelidi Aouini et Ezzeddine Madani reviendront sur l'immense héritage de ce grand animateur de la scène culturelle. Enfin, trois des fils de Mhamed Marzouki exprimeront également la mémoire d'un père avec des mots choisis car tous trois sont à son image, inséparables de notre vie culturelle. Auteurs de nombreuses oeuvres, universitaires de premier plan et éternels médiateurs de savoir, Riadh, Samir et Issam Marzouki diront leur dette, notre dette, envers celui qui fut leur père et notre repère. Gloire à la mémoire de Mhamed Marzouki sans lequel notre connaissance du patrimoine tunisien ne serait pas la même, sans lequel nous ne connaitrions peut-être pas notre "Taghriba" ou les milliers de reflets de la tradition orale. Ce que cet homme a accompli à lui seul relève d'un travail colossal. A l'image des conservateurs du malouf, il fut une Rachidia à lui seul et nous lègue l'extraordinaire héritage des siècles.