L’art d’aimer la Tunisie
Jo Ann Morning, cette Américaine de Californie, n’est plus une inconnue en Tunisie. Elle expose pour la 2ème fois à « Saladin », dont l’atmosphère intimiste lui plaît. Jo Ann Morning n’est plus une artiste de passage à la recherche du pittoresque éphémère
Chronique des arts
Jo Ann Morning, cette Américaine de Californie, n'est plus une inconnue en Tunisie. Elle expose pour la 2ème fois à « Saladin », dont l'atmosphère intimiste lui plaît. Jo Ann Morning n'est plus une artiste de passage à la recherche du pittoresque éphémère, elle réside pleinement depuis 2012 à Hammamet. L'air, l'ambiance, l'architecture des lieux, imprègnent l'artiste qui se trouve presque contrainte de restituer avec volupté la féérie des lieux aussi bien au niveau de la peinture, qu'au niveau de la taille douce de l'estampe, que de la simple gravure. Les techniques de la gravure posent évidemment des problèmes que Jo Ann Morning a vite fait de résoudre tellement elle est impliquée en tant que spécialiste et experte dans ce domaine, ayant fréquenté les plus grands graveurs du monde.
La démarche picturale développée par Jo Ann Morning est donc double. Elle se déploie d’abord selon un axe pictural de peinture figurative et un autre plus centré sur la gravure dans tous ses états plutôt abstraite et très polychrome. La peinture de Jo Ann Morning se présente sous forme de toile de plus grande dimension que les gravures sur papier ou quelquefois collées sur toile.
Picturalement, l’artiste préfère recourir à une touche calme et continue loin des soubresauts de la peinture agressive. La touche quand elle n’est pas étalée est douce mais toutefois assez forte pour marquer les limites des choses même si l’aura brumeuse envahit l’espace et crée une certaine indifférenciation aussi bien au niveau des plans de la toile que de sa composition.
Dans ce tableau sur l’architecture de Sidi Bou Saïd, avec ses airs lourds, ses tracés graphiques, ses blancheurs baignant déjà dans les torpeurs grisâtres. Le tableau des « danseurs » (Lets-dance ) essaie de répéter cette même torpeur par l’implication du mouvement et d’éléments de ségrégation entre le premier plan et un deuxième plan plus coloré mais jamais trop coloré. L’ambiance brumeuse reprend toujours sa place. La ségrégation entre le premier plan se fait par l’introduction de couleurs des danseurs, couleurs du reste assez voisines. Les danseurs filiformes ne sont différenciés que par des mouvements très gauches. La composition frontale de la toile accentue l’hiératisme. Le tableau « Nostalgie Marrakech », est lui aussi de composition frontale. Il obéit à la même logique que le tableau « Let’s dance » ou même celui de la fiesta. Les éléments de céramique viennent avec leur présence moins nébuleuse animer la toile et tentent d’amoindrir la frontalité et le silence de la scène et de créer une certaine différenciation ou une ségrégation spatiale. La femme représentée dans « Nostalgie Marrakech », atteint malgré la frontalité une expression de noblesse et de beauté émergente de la grisaille dominante. Dans le tableau « Au Hammam », l’espace est creusé. Les plans sont différenciés.
L’éphèbe semble sortir d’une ambiance « orientaliste » avec une coiffe, une chachia caractéristique des lieux communs d’un Orient de pacotille. Jo Ann Morning est, certainement, libre de recourir à ce genre de scène. Jusque-là, elle a évité de le faire. Le portrait d’une femme nue aurait mieux attiré notre attention. Pudeur pour pudeur, la représentation d’une femme belle, bien en chair nous aurait émerveillée mais comme le dirait un mien ami… « C’est une question de goût ».
Les travaux picturaux centrés sur les gravures de toute sorte sont moins brumeux et semblent avoir choisi des compositions plus nettes et plus structurées. Les couleurs, également, y sont plus nuancées.
Il faut dire que les technique, de la gravure, du monotype… sont différentes que celles de la peinture liées à la touche personnelle et à la composition spontanée qu’à l’impression presque mécanique. Les travaux de monotype très nombreux et de gravure semblent avoir la préférence de Jo Ann Morning. Ils sont variés et très sophistiqués. Les couleurs sont riches, différenciées. Les monotypes obéissent à des compositions modulaires géométriques ou animés de lignes curvilignes ou écliptiques. Les graphismes écliptiques sont sortis de pétales de fleurs distribués. Un monotype ne ressemble pas à un autre et Jo Ann Morning profite de cette manne technique pour nous présenter toutes les combinatoires possibles. Dans certaines gravures, Jo Ann Morning revient à la figuration et surtout au nu, comme cette oeuvre très lascive d’un nu représenté étendu dans une ambiance érotique suggestive. Les formes dans les monotypes comme dans les gravures sont plus nettes que dans la peinture de Jo Ann Morning. Est-ce parce que l’artiste est plus encline à pratiquer la gravure plus que la peinture ou est-ce un choix esthétique de baigner en peinture dans une ambiance éthérée où les formes et les couleurs se touchent, s’entremêlent et produisent une poésie de la proximité intimiste. Les monotypes, les gravures sont techniquement moins éthérées et plus enclins à des différenciations formelles et chromatiques.
Les travaux « secrets d’artistes » intitulés « Souvenir », semblent développer une démarche synthétique avouée à impliquer une certaine spontanéité graphique avec une préoccupation de le structurer et à l’aménager.
Ces travaux dont l’artiste se garde de nous livrer la technique, nous semblent prometteurs. Peut-être seront-ils des prémices à une manifestation future. Jo Ann Morning paraît prendre beaucoup de plaisir à les hachurer et à les saturer !