Ruptures et dérives
Le cycle révolutionnaire est-il arrivé à son terme quand l'université, plus exactement la recherche universitaire, prend en charge les discours qui en sont issus pour les soumettre à étude ? Le projet peut paraître ambitieux dans un monde où la rapidité des bouleversements fait douter de la capacité du langage à dire le monde tel qu'il se fait au jour le jour. C'est pourtant ce projet là qu'un groupe de chercheurs, tunisiens et non tunisiens, a pris pour cible d'un travail collectif visant à mieux comprendre, parfois à mieux expliquer les bouleversements nés du séisme du 14 Janvier 2011.
Le cycle révolutionnaire est-il arrivé à son terme quand l’université, plus exactement la recherche universitaire, prend en charge les discours qui en sont issus pour les soumettre à étude ? Le projet peut paraître ambitieux dans un monde où la rapidité des bouleversements fait douter de la capacité du langage à dire le monde tel qu’il se fait au jour le jour. C’est pourtant ce projet là qu’un groupe de chercheurs, tunisiens et non tunisiens, a pris pour cible d’un travail collectif visant à mieux comprendre, parfois à mieux expliquer les bouleversements nés du séisme du 14 Janvier 2011.
L’entreprise est dirigée par Bourguiba Ben Rejeb et a été menée dans le cadre des travaux de l’unité de recherche portant sur les approches transversales en langue et littératures de l’institut Supérieur des Langues de Tunis. La perspective retenue est celle qui considère la révolution tunisienne comme un moment de rupture et les pratiques qui en découlent comme des mutations dans le langage et parfois des dérives mal contrôlées. Ce qui est le propre de toute révolution, même quand la boîte de Pandore a fait soudain ressortir autant d’anges que de démons. Il est significatif que dans l’un des débats, nécessairement passionnés, du début de la geste révolutionnaire, le terme même de révolution a donné lieu à controverse, un philosophe du cru ayant eu l’indélicatesse quelque peu prémonitoire de soutenir qu’il y avait méprise sur le terme à employer pour caractériser ce moment tout particulier de l’histoire du pays. La logique du questionnement universitaire est d’ouvrir des perspectives. L’ouvrage qui vient de paraître en fournit deux dès le titre retenu pour ce recueil et traduit par la répartition des parties : Dire le monde autrement et polémique et dérives du discours. Différents chercheurs ont ainsi interrogé successivement l’appellation troïka (M. Ksouri), le « printemps arabe » (A .Mahdi), la parole proverbiale (J. Jerbi), la langue de bois (A. Ben Abdallah), le parler « révolutionné » contemporain (F. Halio), et le mode de construction de la néo-désignation (K. Labidi). Ce premier volet multiplie ainsi les angles pour proposer des réponses partielles à l’interrogation initiale du texte introducteur proposé par B. Ben rejeb (y-a-il un pilote dans la machine des mots ?) complété par la perspective historique proposée par C. Harbaoui (de l’usage commun des révolutions : la tunisienne et la française). Le deuxième regroupement correspond à neuf contributions qui sont autant de variantes spécifiques sur les actualisations langagières du thème de la révolution vécue au jour le jour à travers les discours qui fixent la réalité historique de cet événement clivant. On retiendra par exemple les variantes sur : comment le printemps peut-il être arabe ? (R. Ben Yacoub), crétivité lexicale et jeux de mots (L. Beltaief), la construction du « bouc émissaire » dans le discours politique (L. Sabbagh), le double langage comme artefact mensonger (M. Majoul), polémique et désignation polémique (N. Lahiani), Adversité et altérité dans le discours sur la laïcité (H. Chaabène), les slogans et les tweets (H. Msellati), et détournements et régulations de sens dans la caricature « révolutionnaire » (R. Sdiri). Dans la partie arabe, deux communications préparées par C. Bezzine (tags et affiches en arabe) et Y. Soumer (représentations mentales et représentations imagées) complètent le tableau et intègrent de nouveaux modes d’expression dans la parole réinventée par ce moment tout particulier de l’histoire telle que la parole permet de comprendre.