Bruits et chuchotements
45e Festival international du film de La Rochelle: 85.000 cinéphiles attendus
La 45e édition du Festival international du Film de La Rochelle s'ouvre vendredi pour dix jours, avec le savant mélange d'hommages, de rétrospectives, de focus thématiques et d'avant-premières qui lui permet d'attirer chaque année plus de 85.000 cinéphiles.
Le festival, qui se revendique "non-compétitif" depuis sa création en 1973, propose aux amateurs quelque 200 films (fiction, documentaire, animation) originaires du monde entier, à raison de cinq séances par jour, sur plus d'une dizaine d'écrans et en présence de nombreux réalisateurs.
Cette année, le festival propose plusieurs rétrospectives: l'intégrale restaurées des films du réalisateur russe Andrei Tarkovski (1932-1986); cinq films du cinéaste grec Michael Cacoyannis (1922-2011), auteur du fameux "Zorba le Grec", ainsi qu'une trentaine de films du maître britannique Alfred Hitchcock. Des hommages seront également rendus au réalisateur français Laurent Cantet -- dont le dernier film "L'atelier" sera présenté en avant-première -- au Colombien Rubén Mendoza, à l'allemand Volker Schlöndorff, au Japonais Katsuya Tomita et au Roumain Andrei Ujica, avec la diffusion de la quasi-totalité de leur filmographie. Les cinq cinéastes seront présents au festival. Parallèlement, une plongée est proposée dans le nouveau cinéma israélien avec, parmi les seize films projetés, une "forte présence de films de femmes", "des oeuvres audacieuses qui questionnent certaines valeurs patriarcales et guerrières de la société israélienne", selon les organisateurs. Des femmes à l'honneur encore dans la sélection "films pour enfants", à travers "Fifi Brindacier" et "Les Moomins", créés respectivement par la Suédoise Astrid Lindgren (1907-2002) et par la Finlandaise Tove Jansson (1914-2001). Deux femmes, qui en "s'inspirant directement de leur combat personnel contre les stéréotypes qu'on infligeait aux femmes, à leur époque et dans leur pays", ont réussi "à donner une identité totalement nouvelle à la littérature et aux films destinés aux enfants".
Dans la sélection "Ici et ailleurs", une quarantaine de films de 2016 et 2017, tournés par de jeunes cinéastes ou des réalisateurs chevronnés, en avant-première de leur sortie en salles ou encore inédits en France, seront projetés. Parmi eux, plusieurs films récompensés à Cannes cette année: "The square" du Suédois Ruben Östlund (Palme d'or; "120 Battements par minute" du Français Robin Campillo (Grand Prix); "Faute d'amour" du Russe Andreï Zviaguintsev (Prix du Jury); "Jeune Femme" de la Française Léonor Serraille (Caméra d'or).
Que vaut le film Netflix Okja ? Après la polémique de sa sélection en compétition à Cannes, le long-métrage de Bong Joon-ho sort dans quelques salles et sur la plateforme vidéo.
C'est le film que tout le monde attend. Son réalisateur, Bong Joon-ho, a beau être bien moins connu que Sofia Coppola et bien moins controversé que Roman Polanski, il concentre, depuis des semaines, l'attention des journalistes du monde entier. Pourquoi ? Parce que son Okja est produit et distribué par Netflix. Et qu'il ne sortira donc pas en salle (mais il est visible ce mercredi 28 juin dans certains cinémas de Paris et de Nantes ; la Corée du Sud devrait y avoir droit), le géant du streaming ayant préféré, comme toujours, privilégier ses abonnés (si le film sortait sur grand écran, la diffusion en ligne serait retardée de trois ans, chronologie française des médias oblige).
On ne reviendra pas ici sur cette « affaire Netflixcannes » qui agite le milieu du cinéma depuis l'annonce de la sélection d'okja en compétition officielle : les antinetflix s'étranglent à l'idée qu'une potentielle Palme d'or néglige la case cinéma (même si Pedro Almodóvar, le président du jury, les a rassurés à ce sujet) ; les pro-netflix soutiennent que le cinéma est une affaire de fond et non de support. Les premiers ont sifflé le logo de la firme lors de son apparition sur l'écran du Grand Théâtre Lumière, ce matin, à la première projection publique d'okja ; les seconds ont applaudi et lancé des « hourras ». Et puis tout le monde a éclaté de rire lorsque cette projection fut interrompue en raison d'un problème technique (sabotage ou preuve ultime que Netflix n'est pas fait pour Cannes, là encore, les deux camps ont choisi leur version), avant de reprendre, de nouveau sous les sifflets et les applaudissements. Au fond, dans cette vaste cour de récré qu'est la Croisette, tout le monde a raison et tort à la fois. Mais et le film, alors ? Une chose est sûre, Okja mérite sa place en compétition. Non qu'il s'agisse d'un chef-d'oeuvre : on pourra lui trouver bien des défauts et se plaindre, notamment, de sa fin sans surprise et dégoulinante de sentimentalisme. Mais cette drôle d'histoire d'amour entre une fillette et son étrange animal de compagnie – un « super-cochon » nommé Okja – fait preuve d'une audace et d'une autodérision suffisamment rares pour être soulignées et appréciées. Comme dans Snowpiercer, le thriller de science-fiction qui l'a fait connaître à l'international, Bong Joon-ho s'appuie habilement sur les codes du genre (ici, une variation sur le thème de Peter et Elliott le dragon) pour mieux les subvertir et livrer une analyse aussi divertissante qu'effrayante de notre société contemporaine.
Moins fantaisiste qu'il en a l'air, son film met en scène Lucy Mirando (Tilda Swinton, comme d'habitude excellente, en particulier dans sa géniale séquence d'ouverture), PDG d'une multinationale agroalimentaire cherchant à se racheter une image écolo. Exit les OGM, la maltraitance des animaux et la destruction environnementale, désormais, Mirando Corporation est un parangon de vertu voué à la protection d'une espèce nouvelle, un cochon géant dont 26 spécimens ont été confiés à 26 fermiers « bio » à travers le monde, chargés de les faire grandir dans la joie et la bonne humeur. Un concours du « meilleur super-cochon », animé par le très populaire zoologiste Dr Johnny Wilcox (formidable Jake Gyllenhaal), récompensera l'éleveur le plus doué. En effet, l'animal, qu'on se le dise, est la réponse à toutes les crises alimentaires ! Seulement voilà, dix ans plus tard, Mija (Ahn Seo-hyun), qui a grandi dans les montagnes avec Okja, refuse de livrer son ami porcin à l'abattoir. S'ensuit alors une course-poursuite haletante avec l'intervention spectaculaire du Front de libération des animaux, bien décidé à dévoiler au grand public l'immonde face cachée de Mirando Corp.
S'il se place clairement aux côtés de nos amis les bêtes (nombreux sont ceux qui renonceront aux côtelettes de porc au sortir du film), Bong Joon-ho prend tout de même soin de se moquer également des défenseurs de la cause animale et de leur activisme aux confins du ridicule. Ils sont après tout, eux aussi, les fruits de l'absurdité du système. Bref, à l'arrivée, et malgré une conclusion un peu trop surlignée pour émouvoir, Okja est un film familial plaisant, joliment mis en scène et avec une pointe d'exotisme qui, sans valoir tout le charivari qui l'entoure, confirme l'utilité de Netflix en matière de production cinématographique. Maintenant, on attend le Scorsese.