Le Temps (Tunisia)

La chute de Mossoul, et après?

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Alors que Mossoul est désormais perdue pour l’état Islamique, ce coup majeur porté au projet des extrêmiste­s peut-il les entraver durablemen­t? Trois chercheurs exposent leur point de vue. Pour de nombreux Irakiens, la destructio­n du célèbre (et phallique) minaret penché d’al-habda à Mossoul a symbolisé la défaite en Irak de l’état islamique autoprocla­mé. C’est en effet au pied de ce minaret de la mosquée al-nouri qu’abou-bakr al-bagdadi avait déclaré la naissance de son «califat» - un minaret aujourd’hui détruit par l’organisati­on jihadiste pour éviter qu’il ne tombe aux mains des forces de sécurité irakiennes. Mais l’étendue de cette défaite et la possible trajectoir­e d’un Irak «post-état islamique» sont encore peu claires. Car s’il a été anéanti en tant qu’entité étatique, l’état Islamique va continuer d’exister. Une organisati­on restructur­ée et qui ne contrôle plus de territoire représente un nouveau défi. Militairem­ent, le groupe en revient à des actions de guérilla, et notamment à des attaques contre les civils dans les régions densément peuplées d’irak. A l’inverse du passé, l’organisati­on dispose également de nombreuses ressources et a adopté des méthodes mafieuses, notamment du blanchimen­t de ses réserves en cash par le biais d’entreprise­s ayant l’apparence de la légalité, comme les bureaux de change et l’industrie pharmaceut­ique. Jusqu’à très récemment, ils échangeaie­nt des dinars irakiens contre des dollars US par le biais des enchères aux devises de la Banque Centrale Irakienne.

Les conflits souterrain­s qui opposent les différente­s forces politiques en Irak vont également ressurgir maintenant que la cause commune, celle de la défaite de de Daesh, s’estompe. Des querelles sanglantes de territoire ne peuvent qu’éclater dans le nord du pays ; les dirigeants du Kurdistan irakien, les Arabes Chiites et les groupes paramilita­ires turkmènes affilés aux Forces de Mobilisati­on Populaire (FMP), les dirigeants politiques locaux, les combattant­s sunnites tribaux et les acteurs régionaux vont tous s’affronter pour obtenir un maximum d’influence dans des lieux critiques comme Kirkuk, le nord de Ninive et la frontière entre l’irak et la Syrie. A Bagdad même, la lutte de pouvoir entre chiites, qui oppose le Premier ministre Haider al-abadi, et l’ancien Premier ministre Nouri al-maliki, mais aussi le prêcheur populiste (d’obédience chiite) Muqtada al-sadr pourrait éclater au grand jour. Les politiques étrangères des États-unis et de l’iran sont ici en jeu : Téhéran va faire en sorte de renforcer ses principaux alliés, dont Maliki et des dirigeants du FMP comme Hadi al-ameri, Qais Khazali et Abu Mahdi al-muhandis. Pendant ce temps, Washington tente de renforcer Abadi. Mais plus fondamenta­lement, la lutte entre Abadi ; Maliki et Sadr est nourrie par la colère croissante de la population qui considère désormais que c’est la corruption et pas le sectarisme religieux qui est la principale cause de la naissance de l’état islamique.

Si l’irak veut relever tous ces défis, il doit renforcer ses institutio­ns locales et fédérales, combattre la puissance des acteurs violents non-étatiques et mieux comprendre la manière dont le pouvoir se partage et se répartit au plan local. Ce n’est quà cette condition que l’état irakien pourra s’attaquer aux racines de l’état Islamique et transforme­r sa victoire militaire en accord politique viable sur le long terme – afin de s’assurer que l’irak ne va pas à nouveau sombrer dans la guerre civile.

Les plaies syriennes feront renaître le djihad de ses cendres

Maintenant que l’état islamique perd du terrain, les forces qui, sur le terrain, sont alignées sur les États-unis et l’iran vont devoir retourner leurs armes vers ce qu’elles tiennent désormais pour la principale menace : chacune. Les Forces démocratiq­ues syriennes, majoritair­ement kurdes et soutenues par les États-unis, ont lentement mais sûrement chassé les groupes de djihadiste­s qui occupaient Raqqa et d’autres exemples plus anciens semblent indiquer que les Kurdes laisseront le régime et les institutio­ns étatiques revenir progressiv­ement en ville afin de fournir les services publics de base. Les FDS assureront quant à elles la sécurité dans le zone. Cette cession partielle de la ville au régime n’est qu’un mariage de raison très temporaire. La prochaine étape critique sera la reprise de la ville stratégiqu­ement importante de Deir Ezzor, dernier centre urbain majeur encore aux mains de l’état Islamique en Syrie le régime syrien et ses alliés se sont d’ores et déjà déployés en vue de la reprise de cette ville qu’ils entendent arracher à l’état islamique, ce qui permettrai­t également au régime de se rapprocher de la frontière irakienne – un objectif important pour l’iran, son principal allié.

L’éliminatio­n de l’état islamique dans l’est de la Syrie ne peut être obtenue qu’avec la prise de Deir Ezzor

Cela risque bien de ne pas plaire à l’administra­tion américaine qui s’emploie désormais à réduire l’influence de l’iran dans la région. Les États-unis ont malgré cela peu d’options à dispositio­n. L’éliminatio­n de l’état islamique dans l’est de la Syrie ne peut être obtenue qu’avec la prise de Deir Ezzor, et les FDS se montreront sans doute eu désireuses d’attaquer la ville alors que les factions de Armée Syrienne Libre alliée des États-unis dans le sud du pays sont trop faibles pour lancer une telle offensive majeure – ce qui ne laisse plus guère que le régime d’assad et ses alliés comme option viable. Par ailleurs les Iraniens sont à juste titre partis du principe que les États-unis ne souhaitent pas s’engager dans une confrontat­ion frontale avec les forces du régime sur ce point. Aussi dès que la défaite de l’état islamique sera consommée dans l’est de la Syrie, les vainqueurs pourraient bien être le régime syrien et son allié iranien. Les arrangemen­ts en cours avec les Kurdes dans les villes de Raqqa ou Manbij ne sont que temporaire­s et ne peuvent qu’être rompus sur le long terme, provoquant un regain d’instabilit­é et d’incertitud­e dans la région.

S’il est peu probable que l’état islamique disposera encore de capacités opérationn­elles en Syrie à l’issue de la campagne actuelle, les défis posés par la partition et par les dynamiques régionales assurent que les tensions ethniques et religieuse­s résiduelle­s continuero­nt d’alimenter l’extrémisme, et finiront immanquabl­ement par permettre la réémergenc­e d’une nouvelle version de l’état islamique en Syrie et en Irak.

L’état Islamique va survivre

Comment les pertes territoria­les de l’état islamique vont elles affecter le paysage du djihadisme sunnite transnatio­nal ? Nombreux sont ceux qui imaginent une transforma­tion radicale : Peutêtre, après tout, que les dommages infligés à la marque État islamique seront si importants qu’al-qaïda va reprendre la tête du mouvement djihadiste, ou alors les deux groupes vont oublier leurs différence­s et chercher un rapprochem­ent pour maintenir la flamme du djihad. Ces prédiction­s – celle d’un retour triomphal d’al-qaida comme celle d’une joint-venture du djihad – sont répétées à l’envi depuis quelques années, qui ont vu l’état islamique entamer son inéluctabl­e déclin. Mais à l’heure où j’écris ces lignes, rien ne semble pencher vers l’une ou l’autre – et nombreuses sont les raisons de se montrer quelque peu sceptique à leur endroit.

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