Le jour d’après dans un pays en ruines
Mise à mal, l’édification du « califat » rêvé par le groupe armé État islamique (EI). Sauf que la reconquête de Mossoul est une victoire strictement militaire, arrachée du reste à prix fort. Les défis de la reconstruction — matérielle, sociale, politique, humaine… — de la deuxième ville d’irak vont être gigantesques. Dans l’urgence, Bagdad s’y est très mal préparée.
« Pour l’heure, on ne fait que se battre militairement contre le groupe EI », disait récemment Jabar Yawar, dirigeant des forces de sécurité kurdes dans le nord de l’irak, au correspondant du New York Times. « Il n’y a rien, pas de plan. On se bat, c’est tout. » Certes, le revers est majeur pour le groupe EI qui, s’emparant de Mossoul au terme d’une offensive éclair en juin 2014, en avait fait la capitale de son califat autoproclamé. Sa défaite est territoriale et surtout économique, comme cette grande ville sunnite du Nord irakien lui était très utile dans le financement de son djihad. Défaite d’autant plus marquante que le groupe EI peine parallèlement à conserver le contrôle de Raqqa, sa « capitale » syrienne, et que, par ailleurs, semblaient vouloir se confirmer mardi les informations selon lesquelles le chef de l’organisation terroriste, Abou Bakr al-baghdadi, aurait été récemment tué, quelque part en Syrie.
En tirer pour autant la conclusion que le groupe EI est moribond est évidemment exagéré. Il contrôle toujours des villes irakiennes, comme Tall Afar, à l’ouest de Mossoul, ainsi qu’une large région à cheval sur la frontière entre l’irak et la Syrie. Sa défaite à Mossoul n’efface pas non plus son efficacité propagandiste, ainsi que le souligne le journaliste du Monde Madjid Zerrouky : l’organisation aura, après tout, réussi pendant neuf mois à tenir tête à un adversaire soutenu par l’ensemble de la communauté internationale… C’est une défaite qui sert la fabrication de son culte. Reste largement intacte, ce faisant, sa capacité à inspirer la commission d’attentats terroristes au Proche-orient et dans les pays occidentaux. On peut d’autant moins prétendre que le groupe EI est moribond que le gouvernement irakien, dont les forces militaires sortent épuisées de cette bataille, ne donne manifestement pas l’impression d’avoir sérieusement réfléchi à la suite des choses. À défaut de ramener d’urgence un peu de stabilité dans cette région, cette dernière demeurera un terreau utile aux visées du groupe EI. Ces neuf mois d’affrontements ont rasé une grande partie de Mossoul, détruit ses infrastructures, fait des milliers de morts parmi les civils et chassé de leur maison près d’un million de personnes. Tout est aujourd’hui à rebâtir et à retisser, surtout à l’ouest de la ville, la partie la plus touchée par les combats. Politiquement, le défi pour Bagdad, si tant est que l’irak est plus que sa majorité chiite et plus qu’une vieille invention coloniale, est d’utiliser cette victoire militaire pour faire avancer ses promesses pour l’heure théoriques de décentralisation des pouvoirs, de manière à apaiser enfin les violences sectaires et confessionnelles qui déchirent la société irakienne depuis l’invasion anglo-américaine de 2003. Dans le contexte actuel de guerre macrorégionale, c’est apparemment trop demander. Mossoul est une mosaïque de groupes ethnique et religieux, une métropole sunnite en pays kurde. Or, les forces de sécurité et les milices chiites ont la réputation vérifiée d’avoir commis des exactions et mené des opérations de répression dans des villes à majorité sunnite reconquises au groupe EI au cours des deux dernières années. Il est malheureusement permis de penser que les habitants souffrants de Mossoul n’échapperont pas aux représailles et aux vexations.
De telle sorte que l’irak va rester une fiction centralisatrice où les partis chiites au pouvoir à Bagdad ne voient pas en quoi ils auraient intérêt à prendre en considération les revendications autonomistes des minorités sunnites et kurdes. Une fiction qui, absurdement, a fait dire lundi au premier ministre irakien, Haider al-abadi, que, Mossoul aujourd’hui reconquise, l’« Irak est maintenant plus uni que jamais ».