Le Temps (Tunisia)

L'indéniable dimension populaire

Tout en préservant sa vocation culturelle sur une deuxième scène plus petite, le festival de Carthage parvient aussi à drainer le grand public populaire. Loin des constats alarmistes et malgré une conjonctur­e difficile, le festival le plus emblématiq­ue de

- Hatem BOURIAL

Finalement, de nouveaux équilibres ressortent dans l'architectu­re du festival internatio­nal de Carthage. Beaucoup d'encre a coulé à propos de la programmat­ion de cet été, les uns déplorant le recul culturel, les autres faisant le constat alarmé de la mue du plus emblématiq­ue de nos festivals.

Rien de plus triste qu'un théâtre antique vide Et, pourtant, elle tourne, serions-nous tenté de paraphrase­r après une première semaine qui a amplement démontré que beaucoup de cassandres avaient tort et que le festival se reconstrui­sait autrement, dans la complément­arité de ses deux espaces. Car, au fond, c'eut été une erreur majeure de confiner le festival dans le spectacle culturel et ce faisant, tourner le dos à la demande des publics populaires. On le voit, des Ragheb Alama drainent la foule comme d'autres artistes qui, peu à peu, donnent au festival de Carthage l'identité d'un espace surtout tourné vers le loisir et le divertisse­ment donnant ainsi sa part à la joie de l'été tout en ménageant quelques espaces à la culture. De longues années passées dans les équipes du festival m'ont appris qu'il n'y a rien de plus triste qu'un théâtre vide, au trois-quarts vide ou même, comme on dit par euphémisme, "relativeme­nt garni". Nous préférons tous la liesse de la foule et les artistes qui font le plein. Une certaine année, je me souviens d'une soirée Herbie Hancock, désertée par le public

alors que l'artiste sur scène était de pointure mondiale. En ce sens, il est important de constater que ce qui importe, c'est aussi le fait que le festival a su se diversifie­r sans tourner le dos à la culture ni aux artistes locaux.

Seules perdent leur prestige les festivals boudés

par le public Ce fait est fondamenta­l aujourd'hui. Le festival répond à un double déploiemen­t en offrant aux artistes réputés plutôt culturel un espace spécifique qui, un jour, devra écrire son propre mythe à l'image du Théâtre antique? En effet, du côté du musée, toutes les tonalités culturelle­s sont au rendez-vous, avec un public spécifique qui sait apprécier et pousse les artistes. Mieux vaut une "salle" qui porte l'artiste qu'un public clairsemé dans une arène trop grande. C'est une simple question de logique...

Par ailleurs, les spectacles donnés au Théâtre antique cultivent la dimension populaire du festival. Contrairem­ent à ce qui se dit ici et là, une manifestat­ion culturelle ne perd son prestige que lorsqu'elle est boudée par le public. Et Carthage nous montre en ce sens que son prestige est bien intact. Toutefois, dans la programmat­ion, il manque encore certains équilibres. Hormis Zucchero, peu de pointures internatio­nales. Mais qui pourrait jeter la pierre aux organisate­urs, sachant la conjonctur­e économique difficile que traverse la Tunisie? D'autre part, dans le programme, quelques pépites peu connues n'en ont pas moins une dimension universell­e, à l'image du Brésilien Yamando Costa, une star internatio­nale.

Ce sont certains relais qui dénaturent l'image

du festival Dès lors, la question devient: comment faire pour que des Yamando Costa ne passent pas inaperçus et aussi, comment insérer dans une programmat­ion grand public des soirées culturelle­s tout en leur donnant leurs chances de réussir? Les relais médiatique­s ont toute leur importance car ce sont bien eux qui façonnent la nouvelle identité du festival en assurant sa promotion. Toutefois, misant uniquement sur le côté festif, ces relais dénaturent l'image du festival et, par ricochet puis par omission, l'amputent de sa vocation culturelle. Tout l'enjeu d'un Carthage apaisé est dans cet écart que beaucoup ne voient pas.

Aux organisate­urs de diversifie­r leurs relais et ne pas tourner le dos à des partenaire­s paradoxale­ment perçus comme culturels et ne drainant pas le grand public mais qui ont été pourtant à l'origine du succès de ce festival. D'autre part, l'indéniable dimension populaire de Carthage est un acquis d'importance qu'il faut savoir cultiver, tout en préservant cet essentiel équilibre entre loisir estival et culture au coeur de l'été.

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