Le Chef du gouvernement entre le marteau et l’enclume!
Youssef Chahed, tel le « ghaylen » qui se cogne la tête au barrage mythique de Mahmoud El Messaâdi, ou même Sisyphe le Corinthien de la mythologie grecque, va devoir remonter la pente et toute la pesanteur politique et sociale, pour remettre à niveau son gouvernement qui subit déjà l’usure intraitable de cette transition postrévolutionnaire interminable ! Trois postes ministériels stratégiques vacants, l’education, le Développement et la Coopération et surtout la Finance. Le tout, en période cruciale de rentrée scolaire et de déprime économique avec une descente tragique de la monnaie nationale, le Dinar, aux enfers de la dépréciation par rapport aux monnaies de référence le Dollar et l’euro, auxquels s’ajoutent quelques départements pratiquement asphyxiés sous le poids des exigences et des pressions des uns et des autres, comme le Commerce, l’energie, l’eau, et l’investissement qui n’arrive pas à redécoller malgré toutes les promesses de Tunis 2020 ! Au fait de Tunis 2020, on n’en parle presque plus ! Alors, comme il y a accumulation d’insatisfactions et de « non-satisfaits », il va falloir en découdre et aller peut être à une chirurgie plus profonde que prévue. Le président du gouvernement, pourrait profiter de l’occasion pour doper son équipe et lui donner plus d’énergie avec des hommes de tempérament et Dieu sait si le pays, tout entier, en manque en ce moment. Mais, Youssef Chahed n’a pas les mains libres et il est confronté aux rapports de forces sur un terrain plus que glissant, avec une équation de toutes les incertitudes ! D’abord, un parti légitimement vainqueur des élections, Nida Tounès, et qui s’estime lésé parce qu’il ne gouverne pas ou si peu. Ceci remonte à la genèse même de l’après 2014, où une des règles essentielles de la démocratie des urnes n’a pas été respectée, puisque le parti majoritaire s’est trouvé pratiquement dans une situation burlesque de « soutien critique » au gouvernement, tout comme la plupart des partis et en premier lieu, Ennahdha, qui forment l’ossature de « l’union nationale ».
Par ailleurs, le parti islamiste qui a plus profité de cette cacophonie des temps modernes, spécifique à la Tunisie, puisque bien que battu aux élections, il se trouve en position de leadership à l’assemblée des représentants du peuple après l’effritement de Nida Tounès. Or, en régime parlementaire dominant, c’est le Parlement qui fat les lois, mais aussi oriente le gouvernement qui craint l’épée de Damoclès du vote de défiance pour un « Oui » ou pour un « Non ». D’ailleurs, nous y sommes en plein et Youssef Chahed est acculé à « céder » sur bien des postes pour éviter une crise majeure et le renvoi pur et simple de l’ensemble du gouvernement. Evidemment, BCE, le « Boss », à Carthage, ne laissera certainement, pas pourrir la situation tant qu’il n’aura pas désavoué le président du gouvernement, pour d’autres choix…. Possibles ! A ce niveau, je pense que Youssef Chahed a retenu la leçon. Le « conseil » du « cheikh » Ghannouchi, toujours subtil et insondable de ne pas se présenter aux élections présidentielles de 2019, n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd et le président du gouvernement doit se reconcentrer sur sa première tâche à la Kasbah, de peur d’être le « Héron » de la fable de La Fontaine, et de tout perdre fin 2019 et juste après. Finalement, ce nouveau gouvernement n’aura lui aussi qu’une durée limitée, de fin de mandat présidentiel, à savoir deux ans, tout au plus et quelques mois. Mais « un tiens » vaut mieux que « deux tu l’auras » et Youssef Chahed doit manoeuvrer pour avoir le maximum d’homogénéité et de compétences en plus des concessions « politiques » prévisibles. La Kasbah vaut bien une « messe », et la messe pour lui c’est de durer, de faire avec, et surtout de ne pas échouer économiquement. Or, 2018 s’annonce éprouvant… Il va falloir beaucoup de doigté et d’expérience pour relancer une économie dépressive et des finances amochées. Ceux qui prônent la chirurgie dans ce domaine ont plus que tort. Augmenter sensiblement la pression fiscale, conduirait le secteur privé à la banqueroute, à la fuite des capitaux et à la rétention des investissements. Il vaut mieux laisser flotter un peu plus l’économie et arrêter la rigueur du « plus d’etat », qui a tout simplement conduit à ce naufrage du secteur public, assommé par la masse salariale incontrôlable. Pour preuve, du temps de la Troïka, on a importé le lait et les viandes rouges à gogo pour satisfaire les relents identitaires et religieux. Plus du 1/3 de ces importations ont été jetées. Depuis, on a ralenti la cadence et le cap des importations et tout a baissé ou presque. Il y a une surproduction nationale de lait, d’oeufs, de poulets et de produits ovins, et le mouton de l’aïd se vend à moins de 400 dinars, après avoir frisé les 800 dinars en 20142015. Par conséquent, se faire l’instrument d’une politique démagogique et populiste, pour casser les entreprises et les promoteurs qui résistent encore et qui réussissent tant bien que mal, finira par la banqueroute générale et l’asphyxie de l’investissement. Il va falloir tempérer les ardeurs des uns et des autres à vouloir le beurre et l’argent du beurre, à savoir revendiquer plus de bien être et créer les emplois. Un équilibre doit être trouvé. Cependant, et comme toujours, ceux qui revendiquent le plus à voix haute, finissent par avoir gain de cause…. Mais, attention, ils finiront aussi par tuer la poule aux oeufs d’or… !