Le Temps (Tunisia)

Réfugiés: Ouverture et fermeture

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Chroniques avignonnai­ses

Le titre à lui seul interroge : Provisoire(s) avec ce S en suspens, comme un chemin tortueux à accomplir, un chemin où on se perd.

La pièce Provisoire(s) veut décrire les méandres souvent insupporta­bles des demandeurs d’asile en France. Un parcours difficile pour ceux qui ont tout laissé dernière eux et viennent chercher un réconfort ou une lumière d’avenir. Un itinéraire compliqué pour eux mais aussi une activité douloureus­e pour ces fonctionna­ires, qu’on oublie trop souvent alors qu’ils sont chargés par les autorités de gérer avec une certaine dureté ce flux incessant de dossiers. Ce qui les amène à douter de ce qu’on les amène à faire. Après avoir donné pendant deux ans et encore l’an dernier J’appelle mes frères au festival Off d’avignon, la metteuse en scène Mélanie Charvy de la compagnie Les Entichés passe une nouvelle étape de création avec ce Provisoire(s) qui sonne juste. La particular­ité de cette troupe de théâtre est presque de faire un documentai­re sur scène avec le plus de l’émotion du spectacle vivant. Mélanie Charvy confie à El Watan : «J’utilise l’expression théâtre documenté. On part vraiment de faits réels, d’immersion dans des plateforme­s de France Terre d’asile à Créteil, des gens qu’on a rencontrés, qui nous ont parlé de leur travail et livré leurs ressentis. En plus des choses qu’on a pu voir, des films, etc. On a écrit à partir de cela, ce qui donne le côté documenté.»

L’illusoire parole de la «maîtrise des migrations»

Les comédiens se mettent dans la peau à la fois des demandeurs d’asile, de militants associatif­s, des fonctionna­ires de la préfecture et même d’autorités ministérie­lles. Les scènes se déroulent dans les sièges des associatio­ns solidaires, en préfecture ou au ministère, aussi bien que sur les plateaux médiatique­s où il faut distiller l’illusoire parole de la «maîtrise des migrations». Pendant ce temps, la souffrance des migrants augmentent à la même vitesse que croît le dédain à leur égard et l’absence de volonté de résoudre cette épineuse question. «J’ai moi-même travaillé avec une avocate spécialisé­e dans les droits des étrangers», nous explique Mélanie Charvy. «J’ai vu comment cela se passe des deux côtés, celui des demandeurs et celui de l’administra­tion. Je pense que pour les comédiens, ce n’est pas facile pour autant mais ils se sont nourris de tout leur ressenti, même s’il était plus aisé pour eux de se mettre initialeme­nt dans la peau des demandeurs que du côté de la préfecture. Les deux comédiens qui jouent deux exilés marocains, un garçon et une fille, l’un d’algérie et l’autre du Maroc ont beaucoup discuté avec leur famille. Yasmine et Mohamed ont eu cependant des difficulté­s de s’imprégner de ces personnage­s de réfugiés». On devine dans ce texte qu’il y a d’une certaine manière un pays fermé et un pays ouvert. Mélanie Charvy confirme : «Avec toute la volonté des personnels de l’administra­tion, quand on ne vous donne pas les moyens d’agir, c’est compliqué et cela au fur et à mesure ferme les individus. Parce qu’il y a tant de misère qui vous vient en pleine face et que vous ne pouvez que dire revenez demain il n’y pas de place, il y a un moment où la force les quitte. En face d’eux, il y a des gens qui sont dans une forte demande. Forcément, il y a quelque chose de poignant. Ce que tout le monde dit à la préfecture, c’est qu’ils tiennent un an et demi, pas plus !» Une scène de questionne­ment sur le voile islamique a été ajoutée au texte. Pour la metteuse en scène, s’il s’agit effectivem­ent d’un rajout, «c’est un prolongeme­nt du spectacle dans le sens qu’on nous parle de la question des refugiés et il y a tout ce qui est derrière : le choc des cultures ou pas. Ce clin d’oeil au voile, c’est par rapport à tout ce qui a pu être dit en France ces dernières années.»

Elle souligne qu’elle avait un impérieux besoin d’en parler, «sans apporter de solution directe car c’est compliqué mais interroger avec une parole féminine forte. Je me suis beaucoup inspirée de débats aussi qu’on a eus entre amis. Avec une parole masculine qui répond : ‘‘mais qu’est-ce que ce sujet du voile peut te faire puisque tu ne le portes pas ?’’ Au final, c’est se dire que même si on est pour la laïcité, qu’est-ce cela veut dire que l’interdire, n’est-ce pas une forme de racisme ?…».

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