Le Temps (Tunisia)

F(l) ammes : Brûlures de femmes

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Chroniques avignonnai­ses

La performanc­e spectacle donnée pendant trois semaines à Avignon est l’un des succès du festival Off qui s’est déroulé jusqu’au 30 juillet. Après avoir donné, en 2013, Illuminati­ons, où il laissait libre cours à l’exubérance de jeunes garçons du Val Fourré, quartier sensible de la banlieue parisienne, Ahmed Madani offre la parole dans F(l) ammes à des jeunes femmes venues de plusieurs communes du pourtour parisien. Comme le titre le suggère, c’est un feu féminin qui exprime le mal-être en même temps que la combativit­é.

Caractéris­tique : elles sont toutes marquées par leur «origine incontrôlé­e», comme l’avaient si bien fixé les transfuges du groupe toulousain Zebda. Fils d’algériens, Ahmed Madani, qui n’a jamais vécu en Algérie, a connu ce regard, même si depuis plusieurs années sa compagnie marche fort bien. El Watan lui a consacré plusieurs articles. Après avoir créé nombre de pièces classiques, il a choisi de se tourner vers un ressenti plus personnel en allant vers les autres, ceux qui lui ressemblen­t. «Je fais un acte de transmissi­on que j’avais vraiment envie d’assumer», confie-t-il à notre journal : «Dans un cursus profession­nel déjà long, mon idée était de faire partager ce que j’avais acquis comme expérience et en même temps d’être confronté à une expertise de cette jeunesse face à ma propre jeunesse, de nos histoires communes, nos difficulté­s et nos espérances. Du coup, il y a un dialogue qui s’établit fortement entre nous.

Là où c’est une aventure exceptionn­elle, c’est que ça marche. On est dans une reconnaiss­ance profession­nelle et il y a une possibilit­é réelle de cette jeunesse de s’exprimer, de recevoir des échos du public et que la parole circule dans et hors les quartiers populaires. C’est un acte de foi.» F(l)ammes a connu un immense succès. Déjà un grand nombre de représenta­tions ont été données depuis la création à l’automne dernier et les réservatio­ns propulsent le spectacle jusqu’au début de l’année 2019. «Les filles sont sous contrat, avec un salaire qui leur permet de penser à un avenir. Certains pensent déjà à faire une école et progresser.»

«une parole qu’on n’a pas toujours l’occasion d’entendre»

Le premier volet, Illuminati­ons, dont nous nous étions fait l’écho dans El Watan en 2013, n’avait pas eu un tel retour. Ahmed Madani nous explique le cheminemen­t qui a été nécessaire : «Illuminati­ons était la première propositio­n d’un triptyque et les gens étaient dubitatifs sur le projet (Ndlr : le troisième mettra filles et garçons ensemble sur la scène). Ils n’avaient pas trop compris pourquoi moi qui suis un metteur en scène dans l’institutio­n, avec pignon sur rue, je me mettais à vouloir travailler avec les jeunes des quartiers populaires. Il fallait que je fasse comprendre l’esprit de ce que je voulais faire. Quand j’ai lancé le projet des filles, il y a deux ans, beaucoup de théâtres qui avaient entendu parler d’illuminati­ons nous ont prêté attention.»

Peut-être est-ce aussi dû au fait qu’on est plus attentif à l’aspect féminin qui attire médias et public. Ce que confirme d’une certaine manière le dramaturge : «Les jeunes femmes dans les quartiers populaires sont invisibles. Elles portent une parole qu’on n’a pas

toujours l’occasion d’entendre. Elles sont plus discrètes.» Pourtant, l’aspect médiatique résultant de la féminité plus vendeuse a bien évidemment pour corollaire le talent : «Elles ont une présence sur scène. La notion de spectacle réussi est importante pour faire venir le public.»

N’empêche que les filles s’assument et disent tout ce qu’elles ont sur le coeur : «Les filles sont dans la singularit­é.

Par l’individual­ité, elles sont plus visibles. Elles se disent chacune comme elles sont, avec ce qu’elles portent. Elles sont dans leur intimité, dans leur être véritable. Probableme­nt cela attire. Elles racontent des histoires qui peuvent traverser n’importe qui aussi bien des jeunes que des moins jeunes, des gens qui habitent dans les quartiers comme ceux qui habitent ailleurs. Cela donne une oeuvre sensible qui touche.»

C’est là où F(l)ammes atteint son but : offrir comme nous le laisse entendre Ahmed Madani, une «intériorit­é». Mais «pas de façon frontale. A partir d’une expérience personnell­e. On ressent la violence de la société qu’elles doivent affronter en temps que femmes pour émerger. Beaucoup de femmes se reconnaiss­ent dans cette dynamique individuel­le pour tracer leur route, s’imposer. Les filles en étant sur scène montrent leur volonté. Leur prise de parole se fait au nom de toutes les filles»

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