Le tribunal mixte à l’ère du protectorat
« La force, quand on ne peut faire autrement, mais quand on est maître, justice vaut mieux ».
Dans l’organisation judiciaire à l’aube de la colonisation, le tribunal mixte (Al Majliss Al moukhtalit) fut institué par le décret beylical de juillet 1885, pour trancher dans les affaires immobilières et d’immatriculation foncière.
Par décret du 19 février 1957 le tribunal a pris la dénomination actuelle du « tribunal immobilier de Tunisie « et dont le ressort s’étend à l’ensemble du territoire de la République. Comme son nom l’indique, le tribunal mixte était constitué de magistrats près le tribunal de première instance (l’actuel palais au bd Bab Bénat) qui étaient français, et des cheikhs zeitouniens qui siégeaient au diwan. Ces derniers étaient compétents en matière de Habous relatifs aux propriétés foncières qui ont été réservés à des oeuvres de bienfaisance et consacrés par la Chariâa. Selon un Hadith du Prophète, le Calife Omar Ibn Al Khattab a réservé les revenus de ses biens immobiliers aux nécessiteux, sur le conseil du Prophète :« Immobilise ta terre de façon à ce qu’elle ne puisse être ni vendue, ni donnée, ni transmise en héritage et distribues-en les revenus aux pauvres ». Comme d’autres règles de la Chariâa qui ont été détournées, les Habous ont été un moyen pratiqués par certains pour commettre moult malversations et parfois leurs propres enfants d’en hériter. Il a fallu attendre le Décret du 18 juillet 1957, pour mettre un terme à cette pratique inique et contraire même aux fondements de la Chariâa.
Parmi les juges tunisiens qui ont siégé au tribunal mixte immobilier l’éminent Cheikh Fadhel Ben Achour qui, outre ses grandes connaissances en matière de législation musulmane (chariâa) était, un fin et éminent juriste, et qui fit preuve de grande compétence. La juriste Sana Ben Achour, qui a participé à une étude sur « la justice française pendant le protectorat »
Napoléon Bonaparte
par un article sur le tribunal mixte immobilier, fait remarquer entre autres : « Par la singularité de sa position dans le système judiciaire global, le Tribunal mixte immobilier offre un champ d’observation privilégié de la complexité de la situation de ses juges et magistrats….
« Cette organisation mobilise les « compétences ». Spécialistes des affaires arabes, traducteurs et interprètes, magistrats, avocats et auxiliaires de la justice française, mufti, qâdhi, mudarres et autres jurisconsultes musulmans, hukam et wukala de la justice séculière, tous participent, dans ce jeu des contraires, au fonctionnement du nouvel ordre judiciaire. Or, le consentement des acteurs à prendre part au jeu n’est pas univoque car l’enjeu est dans la présence de l’autre avec qui et contre qui l’on joue ». Les jugements rendus par ce tribunal a permis, comme la fait remarquer Sana Ben Achour, « de prendre la mesure des changements et des continuités par et dans le droit, et de restituer au droit sa tension comme objet inscrit dans l’usage qu’en font juges et justiciables ».