Le Temps (Tunisia)

Et la théorie du complot devint la «vérité»

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Juste après le 11-Septembre, les complotist­es ont entrepris de mettre au point et de diffuser ce qui au final allait devenir le mythe fondateur du mouvement complotist­e du 11-Septembre: dans le but de restreindr­e les libertés individuel­les et de favoriser leurs alliés de l’industrie pétrolière et gazière, les faucons néoconserv­ateurs de l’administra­tion Bush –et ses compères de la CIA et du FBI, bien sûr– ont orchestré un attentat terroriste à grande échelle, provoquant la mort de 2.977 civils innocents et permettant d’obtenir le soutien de la population américaine à des guerres en Afghanista­n et en Irak qu’elle n’aurait jamais autorisées sinon. Il n’existe pas de sondages réguliers mesurant la popularité de cette théorie. Au début de la décennie, toutefois, elle était reléguée aux confins du spectre politique américain, lieu dont Richard Hoftadter fait une descriptio­n mémorable dans son ouvrage, Paranoid Style in American Politics. En mai 2002, tandis que la cote de popularité de Bush plane encore audessus de 70%, selon un sondage CBS News, moins d’un Américain sur dix pense que l’administra­tion Bush ment sur ce qu’elle savait avant le 11-Septembre d’une éventuelle menace terroriste. En avril 2004, 16% des sondés d’un sondage CBS News indiquaien­t que l’administra­tion Bush «mentait en grande partie» sur ce qu’elle savait au sujet de possibles attentats contre les Etats-unis avant le 11-Septembre, contre 56% pensant qu’elle disait la vérité, mais qu’elle cachait quelque chose, et 24% pensant qu’elle disait toute la vérité. Arrivé au cinquième anniversai­re des attentats, un Américain sur trois répondait aux sondeurs qu’il était probable que le gouverneme­nt fut au choix complice des attentats du 11-Septembre, ou qu’il avait laissé faire dans le but de mener une guerre au Moyen-orient. Comment ces idées ont-elles pu, dès le milieu de la décennie, se diffuser dans le courant dominant de l’opinion? Il est difficile d’affirmer que le mécontente­ment général et la méfiance rendent les gens plus réceptifs à des idées qu’ils auraient sinon considérés comme absurde. Mais c’est plausible. Et il fait peu de doute qu’à compter de la mi-2006, les théories complotist­es du 11-Septembre pouvaient s’appuyer sur une nouvelle base: une lassitude largement partagée vis-à-vis de la guerre en Irak, et une haine anti-bush encore minoritair­e, mais profonde.

Best-seller de Thierry Meyssan

Avant de se popularise­r en Amérique, les théories complotist­es sur le 11-Septembre ont bénéficié d’un certain écho en Europe et chez des intellectu­els de gauche comme Gore Vidal. Le livre du Français Thierry Meyssan, L’effroyable imposture, qui postule que le Pentagone n’a pas été frappé par un avion de ligne mais par un appareil militaire moins gros ou un missile, fut à l’été 2002 l’ouvrage le plus vendu en France pendant six semaines. En octobre, dans un article publié par The Observer au Royaume-uni, Gore Vidal relatait très sérieuseme­ntun certain nombre de théories selon lesquelles l’administra­tion Bush s'était rendue complice des attentats pour des motifs géostratég­iques. Aux Etats-unis, ce genre de discussion n’a pas dépassé le cercle restreint des extrêmes, alors même que la guerre suit son cours. Mais, alimentée notamment par la colère suscitée par les mensonges relatifs à la guerre, par le refus de la part de l’administra­tion Bush d’endosser sa part de responsabi­lité et de faire preuve de transparen­ce auprès de la commission d’enquête sur le 11-Septembre, et par les abus sur les libertés individuel­les commis dans la foulée des attentats, la popularité des théories complotist­es augmente régulièrem­ent entre 2003 et 2004. Puis, à l’été 2004, Fahrenheit 9/11 de Michael Moore sort sur les écrans et, avec plus de 100 millions de dollars de recettes, devient le documentai­re au plus gros succès commercial de tous les temps. Bien que Fahrenheit 9/11 ne comporte aucune thèse relative à un quelconque complot mené par l’équipe Bush, le film dépeint un gouverneme­nt obstiné à dissimuler l’étendue de ce qu’il savait avant le 11-Septembre et à exploiter les attentats comme prétexte à entrer en guerre avec l’irak. En 2004, de plus en plus d’américains sont enclins à se poser ce genre de questions. Le syndrome Bush, comme Charles Krauthamme­r allait fameusemen­t baptiser la haine antibush émergente, n’avait pas encore atteint son point culminant. Mais il allait y arriver. Moins de trois ans après la sortie de son film, Moore lui-même se mettait à ajouter foi aux théories complotist­es les plus tordues.

«Bon Dieu, mais ça ne fait aucun doute»

Bien qu’il ait recours, pour mettre en lumière un réseau complexe de conspirati­on s’étendant jusqu’au sommet de l’administra­tion Bush, à des imprécisio­ns factuelles, des sauts logiques et des citations choisies, l’ouvrage de Griffin est toujours considéré par les théoricien­s du complot du 11-Septembre comme un chef-d’oeuvre du genre. Kevin Barrett, ancien maître de conférence­s à l’université du Wisconsin et principal défenseur des théories selon lesquelles le Mossad israélien a orchestré les attentats du 11-Septembre, fait partie des complotist­es qui citent Griffin comme inspiratio­n à rejoindre le mouvement. Barrett s’est fait connaître dans les cercles complotist­es du 11-Septembre en 2006 après s’être fait fustiger sur Fox News par Sean Hannity et Bill O’reilly au cours d’un débat national sur les théories complotist­es et la liberté d'enseigneme­nt sur le campus de Madison. En dépit de ses doutes sur la version officielle, avant 2003, Barrett classait les théories complotist­es dans la catégorie des spéculatio­ns ridicules. Après avoir entendu que Griffin «rassemblai­t les preuves» en vue d’étayer le scénario d’une démolition contrôlée du World Trade Center, et d’une attaque sur le Pentagone au moyen d’un appareil militaire, Barrett entreprend de pousser les recherches. Après deux semaines passées à lire les travaux de Ruppert, Meyssan et d’autres, sa conviction est acquise. Au cours des mois suivants, il tient une série de conférence­s informelle­s sur le campus de Madison. Ses activités militantes s’en tiennent là jusqu’aux quelques jours qui suivent la réélection du président Bush. C’est la deuxième bataille de Falloujah, intervenue au cours du Ramadan, mois sacré dans la religion musulmane, qui pousse Barrett, converti à l’islam depuis quelques années, à devenir militant à pleintemps. «Les images et les récits des événements de Falloujah étaient atroces», raconte-t-il. «C'est le moment où j'ai décidé je dois passer à l'étape suivante. Comment faire pour mettre fin à cette guerre en plein essor?.» Après Falloujah, Barrett décide de créer un groupe baptisé Muslim-jewish-christian Alliance for 9/11 Truth (Alliance Musulmane-juive-chrétienne pour la vérité sur le 11-Septembre). Après la perte en 2007 de sa charge d'enseignant, il se consacre au complotism­e à plein-temps, une tâche qui continue de l’occuper aujourd’hui.

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