Le tout-puissant empereur chinois Xi
La « nouvelle ère du socialisme à la chinoise » annoncée par le président Xi Jinping promet une Chine « renaissante » lancée dans un grand élan d’expansion internationale. Mais le projet est dystopique sur le fond — et donc bancal — puisqu’il passe par une négation totale des voix critiques, y compris au sein du parti, et une volonté ahurissante de contrôle social. C’est le « centralisme démocratique » poussé à l’extrême. Aucun champ d’action n’échappe plus à l’autorité du président Xi Jinping à l’issue du 19e Congrès du Parti communiste chinois (PCC). L’homme de 64 ans portera à peu près tous les chapeaux : secrétaire générale du PCC, chef de l’état, chef de l’armée… Le congrès qui vient de se terminer l’a littéralement déifié, comme il devient le premier dirigeant du pays depuis Mao Tsé-toung à voir son nom inscrit dans la charte du Parti de son vivant. M. Xi concentre aujourd’hui d’autant plus de pouvoir qu’officiellement reconduit mercredi dans ses fonctions, il a désobéi à la règle tacite voulant que le leader du pays nomme un successeur. Si bien que la « nouvelle ère » qu’il promet pour son pays semble, entre autres choses, vouloir dire qu’il prépare le terrain — par un scénario à la Vladimir Poutine ? — au prolongement de son règne à la tête du pays au-delà de la limite permise des deux mandats de cinq ans.
De la « grande renaissance de la nation », a-t-il fait valoir au congrès du PCC dans le jargon théorique qui caractérise le discours du parti, procédera la réaffirmation de la Chine comme « pays socialiste, moderne, prospère et puissant ». Vaste programme. Après Mao (père de l’indépendance) et Deng Xiaoping (qui inaugure l’économie socialiste de marché à la fin des années 1970), Xi Jinping défend l’idée que la Chine passe maintenant à une troisième étape de son développement économique déjà phénoménal, s’agissant d’affirmer l’ascendant sur la scène internationale de ce pays de près de 1,4 milliard d’habitants — ce qui, d’ailleurs, n’est pas sans faire écho au « Make America Great Again » du président Donald Trump. Avec, à la clé, modernisation militaire du pays, de manière à le doter d’une armée au « premier rang mondial » d’ici 2050. Le tout sous le contrôle absolu du PCC, destiné à « rester éternellement le noyau dirigeant de la Chine ». Qui s’étonnera que, s’agissant de faire de la Chine un pays « moderne et prospère », il soit totalement exclu pour le président de s’engager dans le moindre processus de libéralisation politique ? En fait, « la trajectoire politique suivie ces cinq dernières années laisse penser qu'il y aura encore plus de contrôle », disait au Monde l’historien chinois Zhang Lifan. Dans l’exercice du pouvoir, Xi Jinping a rompu avec le principe d’une certaine collégialité qui avait été imposé par Deng Xiaoping à la fin de la Révolution culturelle, en 1976, pour éviter qu’un autre Mao soit seul maître à bord.
Socialement, M. Xi s’est attaqué avec une très grande brutalité à la société civile et a renforcé, à coups de 8 milliards de dollars par année, la censure d’internet. Il n’y a qu’à se souvenir de l’inhumanité du traitement qu’a fait subir le régime au militant des droits de la personne et Prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, libéré de prison cet été alors qu’il était sur le point de mourir d’un cancer, pour prendre la mesure de la barbarie dont est capable cette « dictature du peuple ». Xi Jinping s’est fait trop d’ennemis, y compris au sein du Parti, pour oser des réformes sans risquer de perdre le contrôle, raisonne cet historien. D’où fuite en avant sous forme de consolidation de son autorité sur le pays et sur le PCC.
C’est dans ce contexte que le président s’enorgueillit de lutter contre la corruption depuis son arrivée au pouvoir. Plus de 1,3 million de fonctionnaires ont été punis, ce qui n’est pas sans résonner favorablement dans une partie de l’opinion publique. Mais le fait est que cette campagne anticorruption, dont il a dit en congrès qu’il s’agissait d’un « combat sans fin », est aussi une arme qui lui permet de s’attaquer à ses ennemis. Et que la dictature chinoise étant ce qu’elle est, la corruption des uns remplace inévitablement celle les autres. Tous les Chinois ne sont sûrement pas dupes. Il y a quelque chose de fondamentalement incompatible entre l’obsession de contrôle affichée par Xi Jinping et ses promesses de transcendance mondiale. Que flanche ensuite l’économie de consommation chinoise, ce qui arrivera nécessairement, et des mouvements de revendications sociales et politiques pourraient facilement resurgir. Il y aura d’autres — petits ou grands — printemps démocratiques de la place Tiananmen, forcément.