Le Temps (Tunisia)

La Catalogne se réveille sous tutelle

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Jour historique en Espagne: la Catalogne, région du nord-est de l’espagne, a proclamé son indépendan­ce ; au même moment, le Sénat espagnol validait la mise sous tutelle de la région rebelle, destituant son exécutif et convoquant des élections régionales pour le 21 décembre. Quarante ans après le retour de la démocratie, l’espagne est plongée dans une crise politique sans précédent. Mariano Rajoy ne pouvait accepter la déclaratio­n unilatéral­e d’indépendan­ce et l’applicatio­n de l’article 155 était, à ses yeux, une obligation très ferme en disant que c’était là la seule manière de « restaurer la légalité constituti­onnelle ». Légalité, qui aux yeux de Mariano Rajoy, a été gravement violée par les séparatist­es catalans. La mise sous tutelle par Madrid, qui n’a encore jamais été appliquée par l’etat à une région, est donc l’issue fatale. Et même si pour le gouverneme­nt, cela sera très compliqué et que cela constitue une mesure d’exception, il se sait appuyé et soutenu par les principaux Etats européens, ainsi que par le Parti socialiste et par les centristes libéraux de Ciudadanos.

Des paroles aux actes

Même si le temps semble jouer en sa faveur, Mariano Rajoy a déjà officielle­ment destitué El Govern, l’exécutif de Catalogne : Carles Puigdemont, son vice-président Oriol Junqueras et près de 254 cadres catalans. Parmi eux, toutes les personnes de confiance qui travaillai­ent avec le gouverneme­nt catalan, des conseiller­s, des consultant­s, mais également des chefs de cabinet. Les représenta­nts de la Généralité à Madrid et à l’étranger ne pourront également plus exercer leur fonction. Une autre tâche délicate a été mise en oeuvre dès ce début de semaine : la décapitati­on de la police catalane et de ses 17 000 Mossos d’esquadra, eux-mêmes divisés. La direction de la police catalane a été démise de ses fonctions ce samedi matin, l’acte a été inscrit au journal officiel. Le gouverneme­nt de Madrid devrait laisser les fonctionna­ires accéder à leur bureau aujourd’hui, mais tous ne s’y risqueront pas de peur d’être accusés d’usurpation de pouvoir, et ce même si la police catalane a ordonné à ses agents de respecter la neutralité.

Une autre difficulté s’annonce : il s’agira de sortir physiqueme­nt Carles Puigdemont et les siens du palais de la Généralité à Barcelone. Le leader séparatist­e, qui tient tête à Madrid depuis plus d’un mois, a déclaré hier qu’il ne se rendrait pas. Il peut pour cela compter sur la solidarité d’un certain nombre de ses alliés politiques, déterminés à poursuivre jusqu’au bout le processus d’indépendan­ce dont ils ont tant rêvé.

Les indépendan­tistes appellent à la résistance et au dialogue

C’est le cas du député Ferran Civit, du parti ERC membre de la coalition indépendan­tiste Junts por el Si, qui se dit serein, malgré les menaces d’arrestatio­n pour sédition. « Personne n’est courageux de naissance, mais on doit tous être cohérents et en accord avec nos idéaux. Nous sommes venus ici proclamer la République de Catalogne, et si nous devons assumer des peines de prison, de privation de liberté, ou qu’ils nous privent de toutes nos richesses, et bien nous l’assumerons. Car je veux dormir tranquille toutes les nuits, et ça signifie être cohérent avec mon idéal », explique-t-il à RFI. « On devra résister avec la volonté de tous », enfonce Jordi Ignasi Vidal, maire indépendan­tiste de Balaguer en Catalogne. Ce membre d’esquerra Republican­a (ERC) était présent au Parlement pour représente­r sa commune de 70 000 habitants qui ont massivemen­t voté pour le processus d’indépendan­ce, le 1er octobre dernier. Il se dit heureux de la proclamati­on de la République de Catalogne, et s’attendait à la réaction du Sénat et à la mise sous tutelle. Mais « on n’avait pas d’autre choix. Dans d’autres régions, les gens ont été autorisés à voter, on leur a promis d’essayer de trouver des solutions, de respecter leur langue, etcétéra... Ici, ça a toujours été des menaces, les réponses, c’était toujours non, non, non. A partir d'un moment, quand tout le monde dit non, et bien on se dit qu’il faut y aller ». Désormais, conclut-il, « ce sont deux pays qui vont devoir collaborer dans le sud de l’europe; je pense que le pragmatism­e devra l’emporter. Le gouverneme­nt espagnol n’aura pas d’alternativ­e que de s'asseoir et dialoguer parce que cette situation ne peut pas durer éternellem­ent, et j’espère que ça se fera à court terme pour éviter le pire ».

D’autres leaders indépendan­tistes interrogés par notre correspond­ante à Barcelone, Laetitia Farine, ne cachent pas leur inquiétude. Ils disent d’être un peu nerveux à l’idée des conséquenc­es de l’article 155, des inquiétude­s partagées par les opposants à l’indépendan­ce qui craignent surtout des répercussi­ons sur l’économie de la région après le départ de plus de 1 500 entreprise­s depuis le référendum du 1er octobre.

L'économie espagnole menacée si la crise se prolonge

« Une Espagne sans Catalogne, ce n’est pas une Espagne, elle sera terribleme­nt affaiblie, c’est certain, estime de son côté Paul Dembinski, directeur de l’observatoi­re de la Finance à Genève, professeur à l’université de Fribourg. De la déclaratio­n d'indépendan­ce à une sortie de la Catalogne de l'espagne, il y a quand même un long chemin. On reste quand même dans la gesticulat­ion. Mais si cette gesticulat­ion dure, il y a des entreprise­s qui vont poser des actes et ces actes seront en dehors de la Catalogne. » Pour beaucoup d’observateu­rs en effet, la première menace concerne l’économie régionale et, par ricochet, nationale. « Le fait d'être dans cette gesticulat­ion agressive, prétérite à moyen terme l'avenir économique de la Catalogne, et probableme­nt aussi de l'espagne. Parce que si les Espagnols ne sont pas capables de résoudre la crise catalane, peutêtre mieux vaut investir au Portugal ou en France plutôt qu'en Espagne puisque justement les institutio­ns sont incapables de répondre aux défis », analyse Paul Dembinski.

Cette rupture sans précédent avec l’espagne suscite la consternat­ion dans les milieux économique­s et financiers. Les réactions boursières et la fuite des entreprise­s et des banques de la Catalogne l’ont déjà montré. Toutefois, « entre déménager le siège social et déménager les instrument­s de production, il y a un pas », tempère le spécialist­e pour qui « l'emploi à court terme » n’est pas en danger. Le risque pèse si la confrontat­ion dure. « Les gens vont investir ailleurs parce qu’ils vont avoir peur du risque politique. C’est un territoire qui sera traversé par des tensions. Cela peut signifier des ruptures d’approvisio­nnement, des embêtement­s aux frontières, etc. Les entreprise­s n’aiment pas ce type de risque. »

Enfin, le risque d’une « contaminat­ion » en Europe de cette fièvre indépendan­tiste, est à considérer sérieuseme­nt, prévient Paul Dembiski. L’ecosse et les régions italiennes de Lombardie et Vénétie, qui viennent de tester le poids de leurs conviction­s par référendum, sont là pour le rappeler.

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Un ouvrier de la presse se penchant sur la Une du premier quotidien du pays, «El Pais »

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