Le Temps (Tunisia)

Un projet «en contradict­ion avec les ambitions du gouverneme­nt pour la relance»

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Noureddine Hajji, Directeur Général D’EY (Ernst & Young) Tunisie, (cabinet d’audit), est très critique envers le projet de Loi de finances, pour l’exercice 2018, jugeant qu’il «est loin de favoriser la relance économique tant attendue, pénalisant à la fois l’investisse­ment qui serait la seule voie de salut possible, et les citoyens dont le pouvoir d’achat se trouverait réduit davantage sous l’effet conjugué de l’augmentati­on des taux de la TVA et de l’institutio­n de la contributi­on sociale de solidarité».

Il est à noter que le projet de loi de finances de l’année 2018 qui fixe un budget global de l’etat au titre de l’année 2018, à 35 851 millions de dinars, a été adopté le 12 octobre en conseil des ministres. Le démarrage de sa discussion par la commission des finances, à L’ARP, est prévu pour mardi 31 octobre 2017. A ce propos, Noureddine Hajji a souligné qu’il est simplement déçu pour trois raisons essentiell­es. D’abord, parce qu’on reste prisonnier de la même logique adoptée tout au long de ces dernières années pour l’élaboratio­n du budget et de la loi de finances. On part des dépenses budgétaire­s comme donnée d’entrée, sans penser même à les limiter si nécessaire, puis on aligne en face les recettes propres usuelles. Pour combler la différence qui est forcément un déficit, on recourt à l’endettemen­t et pour l’essentiel à l’accroissem­ent des impôts pour les contribuab­les «discipliné­s «. On reste donc dans les solutions de facilité et on n’a pas encore vu, 7 ans après la révolution, une rupture par rapport à cette façon de faire.

Ensuite, parce qu’encore une fois, la loi des finances pour l’année 2018 apportera son lot inflationn­iste de nouvelles mesures fiscales, comme si ce qui avait été fait auparavant ne suffisait pas. Pas moins de 500 mesures fiscales avaient été prises depuis 2011 (en dehors de celles liées à la loi de l’investisse­ment et de la loi portant refonte des avantages fiscaux), mais aucune étude d’impact de cette réglementa­tion n’a été faite à ce jour, laquelle aurait permis de conclure qu’une bonne partie des mesures fiscales adoptées n’a jamais été appliquée et qu’une autre partie, non moins importante, n’a jamais été efficace en pratique. Au vu de certaines dispositio­ns dans le projet 2018, il semble même que les rédacteurs de ce projet aient oublié que certaines dispositio­ns contenues dans des lois de finances antérieure­s, avaient été votées avec effet d’applicatio­n en 2018. Enfin, parce que ce projet de loi de finances est en contradict­ion avec la feuille de route pour 2020 et les ambitions affichées par le gouverneme­nt pour la relance de l’économie. La pression fiscale sur les entreprise­s est déjà assez élevée et les mesures proposées vont la rendre simplement intenable. En parallèle, la loi de finances ne prévoit pas de mesures audacieuse­s permettant de lutter efficaceme­nt contre la fraude fiscale, la contreband­e et le marché parallèle. Concernant les mesures fiscales, il a souligné qu’ils tendent principale­ment, à accroître les recettes fiscales pour soulager le déficit budgétaire et accessoire­ment, à assurer plus d’équité fiscale (essentiell­ement par la révision des tranches du barème d’imposition). En revanche, ces mesures ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une réforme fiscale globale, bien pensée. Pour les citoyens, ce projet induira inévitable­ment une contractio­n du pouvoir d’achat, sous l’effet conjugué de l’augmentati­on des taux de la TVA et l’institutio­n de la contributi­on sociale de solidarité.

Accroissem­ent fiscal sur les entreprise­s A propos des entreprise­s, Noureddine Hajji a estimé qu’elles subiront un accroissem­ent considérab­le de la pression fiscale sous l’effet de l’accroissem­ent des taux d’impôts à plusieurs niveaux (IS, Droits d’enregistre­ment, Impôt sur les dividendes, gel de crédit de TVA, etc...). Au-delà de cette augmentati­on des charges fiscales, il ne faut pas oublier que, depuis des années, les investisse­urs sont davantage pénalisés par la persistanc­e de l’instabilit­é des règles juridiques et fiscales qui régissent l’investisse­ment, avec, pour corollaire, un manque de visibilité, qui les empêchent de se projeter dans l’avenir et de construire avec la fiabilité requise, leurs budgets annuels et leurs plans d’investisse­ment et de développem­ent. Je dirais même qu’une méfiance à l’égard de la législatio­n fiscale commence à s’installer dans l’esprit des chefs d’entreprise­s, alors qu’on a plutôt besoin de confiance, condition sine qua non de la relance de l’investisse­ment, elle-même condition sine qua non de la reprise de la croissance, elle-même condition sine qua non de la réduction du chômage.

Une marge de manoeuvre réduite Interrogé sur la possibilit­é pour le gouverneme­nt de faire autrement, il a ajouté qu’il faut reconnaîtr­e que la marge de manoeuvre du gouverneme­nt est assez réduite. Mais, nous n’avons pas vu, ou pas suffisamme­nt vu, de dispositio­ns innovantes et audacieuse­s à la mesure de la gravité de la situation des finances publiques et en ligne avec les priorités et les objectifs annoncés par le Gouverneme­nt pour la relance de l’économie. Sachant que la LF 2018 est mécaniquem­ent la dernière pour espérer produire des effets au cours de cette législatur­e, le gouverneme­nt n’aurait dû, à minima, prévoir aucune nouvelle taxe ni augmentati­on des impôts existants pour rompre avec la perception négative largement partagée à l’égard des lois de finances et rassurer un tant soit peu les acteurs économique­s et les citoyens. En contrepart­ie, il s’agit de se concentrer sur l’applicatio­n des dispositio­ns fiscales adoptées (il y en a pas mal qui ne sont pas encore appliquées), sur l’améliorati­on du recouvreme­nt des créances fiscales et sur l’élargissem­ent de l’assiette fiscale et de la population des contribuab­les soumis à l’impôt. Il faut aussi, chercher les ressources par le biais du désengagem­ent de l’etat de certaines participat­ions et entreprise­s publiques et aussi par une véritable mobilisati­on des projets en mode PPP. Et pour cela, il s’agit moins d’adopter encore des textes que d’exécuter un plan de réalisatio­n effective.

Arrêter l’hémorragie de l’augmentati­on des dépenses Nous aurions aussi, besoin d’arrêter l’hémorragie de l’augmentati­on des dépenses et réfléchir sérieuseme­nt à des mécanismes efficaces à mêmes de rationalis­er les dépenses de compensati­on.

Pour booster l’investisse­ment, stimuler la croissance et donner le bon signal aux acteurs économique­s, le gouverneme­nt aurait pu annoncer dans la loi de finances (ou autre) ,que les taux actuels de L’IS sont des taux plafonds applicable­s sur les 3 prochaines années, ce qui permettra de consacrer une stabilisat­ion des règles fiscales.

Il aurait pu corriger l’effet de la contributi­on dite exceptionn­elle (7,5%) en 2017, en retranchan­t une partie de cette contributi­on (50% par exemple) des impôts dus au titre de 2018 et 2019, réactivant le dispositif de dégrèvemen­t sur réinvestis­sement physique et assoupliss­ant les conditions de bénéfice des avantages du dégrèvemen­t financier, dans le but de booster les projets d’extension par les entreprise­s existantes.

Le problème de la LFC Evoquant la question de la persistanc­e des grands déséquilib­res budgétaire­s 7 ans après la révolution, il a affirmé ne pas pouvoir l’expliquer, mais constate qu’on s’habitue, désormais, à un modèle où on vote à la veille de chaque année un budget et une loi des finances et on revote, ensuite, un budget et une loi des finances complément­aires pour corriger les mauvaises estimation­s du début d’année. Hajji a souligné, qu’aujourd’hui, le besoin additionne­l de ressources (sans doute sous forme d’endettemen­t) pour boucler le budget 2017, est de l’ordre de 1,8 milliard de dinars, dû vraisembla­blement à une hémorragie dans les salaires et la caisse de compensati­on, mais aussi, à une mauvaise estimation du prix de pétrole et des cours de change. L’économie tunisienne tient encore, debout par le seul effet de la performanc­e des entreprise­s du secteur privé, a-t-il ajouté, affirmant que ces entreprise­s ont un grand potentiel mais sont malheureus­ement pénalisées par les difficulté­s des finances publiques qui visiblemen­t vont encore perdurer au moins quelques années. La réalité, aussi, est que les réformes du cadre institutio­nnel de l’investisse­ment et du climat des affaires vont, malgré tous les efforts, mettre du temps pour pouvoir porter leurs fruits. Il faut espérer que ce tissu continue à résister sur le court terme. Dès que le contexte leur sera favorable et il le sera sans doute un jour, elles vont pouvoir faire des miracles. Ce serait donc une croissance modeste sur le court terme (2,5% jusqu’à 2020 vraisembla­blement) et une forte croissance (5% et plus) audelà.

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