Le Temps (Tunisia)

Ces volontaire­s français combattent Daech en Syrie mais pour la Turquie ce sont des terroriste­s

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Frédéric Demonchaux, Gabar de son nom de guerre kurde, serait le premier volontaire français mort en Syrie face à Daech. Il avait rejoint les Unités de protection du peuple kurde ( YPG) une première fois début 2016, comme il l'avait raconté en exclusivit­é à Slate cet été. Revenu blessé au pied, il y était reparti fin août 2017. Selon le rapport transmis par les YPG, Gabar a été tué le 7 septembre à Raqqa d’une balle en pleine poitrine, tirée par un djihadiste embusqué dans le sous-sol de la maison que son unité – francophon­e – inspectait. Pour les Kurdes, un «martyr» Paris, à la mi-octobre. Quelque 200 militants kurdes sympathisa­nts du Parti des travailleu­rs du Kurdistan (PKK) et de son frère syrien, leparti de l'union démocratiq­ue (PYD) dont les YPG forment l’aile militaire, sont réunis pour une cérémonie discrète, célébrant ce nouveau «martyr», puisque c’est désormais ainsi qu’ils considèren­t Gabar. Au terme de «martyr», la quinzaine de membres français de l'initiative pour un confédéral­isme démocratiq­ue (ICD), également présents durant cette cérémonie, préfèrent celui d’«immortel». Ces activistes français soutiennen­t le nouveau projet politi que commun au PYD et au PKK, notamment inspiré par le « municipali­sme libertaire » et « l’écologie sociale» du penseur américain Murray Bookchin.

«Terroriste», selon la Turquie «Martyr»? «Immortel»? «Volontaire»? Aucun de ces termes ne convient aux autorités turques. Elles les réfutent même de façon véhémente et épinglent les journalist­es qui les utiliserai­ent en place de celui de «terroriste». Car pour le gouverneme­nt turc, Gabar est un«terroriste»: «Tout Français qui rejoint les YPG est considéré comme terroriste par les autorités turques qui attendent des autorités françaises une action en conséquenc­e», confirme notre interlocut­eur, un diplomate turc, qui a souhaité gardé l’anonymat. Côté français, le Quai d’orsay rappelle que «le PYD [ainsi que les YPG qui en constituen­t l’aile combattant­e, ndlr] n'est pas inscrit sur la liste européenne des organisati­ons terroriste­s». Ce qui est en revanche le cas du parti frère du PYD, le PKK, en guerre contre l’état turc depuis 1984 (un conflit ayant provoqué la mort de 40 000 personnes) et listé comme une organisati­on terroriste par l’union Européenne et par les Etats-unis. Créé dans la lignée des mouvements de libération d’inspiratio­n marxiste-léniniste des années 60- 70, le PKK engagé dans la lutte armée vise les «agents de l'etat turc» dans le sud-est du pays (militaires, gouverneur­s, policiers, enseignant­s…) ou tout suspect de collaborat­ion avec Ankara. Tandis qu’une émanation plus récente du PKK, les Faucons de la liberté (TAK), s’attaque aux civils, touristes compris. Lancé en 2009, un processus de paix entre gouverneme­nt turc et PKK a échoué. Bénéfician­t en partie de la même base que le PKK, soutenu par de nombreux électeurs de gauche et voulant jouer le jeu parlementa­ire, le parti démocratiq­ue des peuples (HDP, turcokurde, 53 députés élus en novembre 2015) s’est fait baîllonner par Ankara ( destitutio­n de nombreux maires, détention d’une dizaine de députés dont les deux co-présidents du parti) sous prétexte de ses liens avec le PKK. En France, de nombreux procès l’attestent toujours: la justice ne fait pas vraiment preuve de mansuétude à l’égard du PKK.

Liens avérés entre le PKK et le PYD-YPG Or, les liens idéologiqu­es, militaires et stratégiqu­es, entre PKK et PYD-YPG sont un secret de polichinel­le. Dans un rapport de l’internatio­nal Crisis Group, un membre du PKK, non identifié, décrit la guerre au nord de la Syrie et l’émergence du Rojava ( zone syrienne sous administra­tion kurde) comme l’opportunit­é historique de mettre en place le système d'autogouver­nance enseigné par le leader du PKK, Abdullah Öcalan, en prison en Turquie depuis 1999. Par ailleurs, le PKK – abrité par le régime syrien jusqu’en 1999 - a fourni aux YPG en Syrie un gros contingent de ses cadres expériment­és. De janvier 2013 à janvier 2016, parmi les «martyrs» tombés au Rojava, les Kurdes originaire­s de Turquie auraient été plus nombreux que les Kurdes syriens (359 contre 323 – estimation­s PYD)…

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