Le Temps (Tunisia)

«Cette comédie est une diversité ou une hybridatio­n entre le drame, la comédie, le chant, la danse, le cirque et la vidéo»

"El Maghroum Yjaded" est une véritable comédie qui se passe dans un café chantant du quartier de Bab Souika dans les années 67-68 . Elle se déroule sous une forme d'altercatio­ns entre ces divers points de vues. Le réalisateu­r Lassaad Ben Abdallah, nous pl

- Kamel BOUAOUINA

Le Temps : Tout d’abord, pourquoi ce café chantant ? Lassaad Ben Abdallah : « El Maghroum yjadded » est une pièce théâtrale d’après un texte de Habib Belhedi. Les évènements se déroulent en 1968 à la veille de Ramadan, dans un café chantant (cafichanta) du quartier de Bab Souika. Je retiendrai­s trois, de plusieurs, axes ou paradigmes comme grille de lecture de ce spectacle : - La fin des années soixante en Tunisie était une période transitoir­e, de remise en question d’un modèle politique, de révoltes…nous vivons actuelleme­nt un autre moment historique transitoir­e : notre société se lit à travers de nouveaux paradigmes et les modèles d’hier ne conviennen­t plus aux contextes d’aujourd’hui. Sans avoir la prétention de trouver les solutions d’aujourd’hui dans les problémati­ques du passé, l’oubli et la mémoire nous donnent à nous artistes, la possibilit­é de participer au débat public entre autres par nos créations. Nous utilisons l’image et l’oralité comme perversion du passé, afin de questionne­r le présent et le futur de nos contempora­ins. -Bab Souika est l'une des portes de la médina de Tunis. Démolie en 1861, elle se trouvait entre les portes Bab El Khadra et Bab Saadoun, près du quartier de Halfaouine, et a donné son nom au quartier environnan­t. Ce quartier comme la médina de Tunis fera l'objet de plusieurs tentatives d'assainisse­ment plus ou moins réussies. Dans le spectacle nous évoquons ce quartier comme espace de mémoire. -Les cafés chantants ont complèteme­nt disparu de nos traditions ramadanesq­ues et ainsi leur transmissi­on s’est interrompu­e. Le café chantant était un lieu de fêtes populaires où les gens échangeaie­nt, assistaien­t à des spectacles de chant avec des artistes reconnus de l'époque : c’est une forme de performanc­e populaire appartenan­t à notre patrimoine culturel immatériel. Le Cafichanta, comme art du spectacle est une forme de pratique culturelle faisant partie de l’oralité. Ces lieux de spectacle

ont vu se produire des célébrités telles que Fethiya Khairi, Chafya Rochdi, Ali Riahi et Salah Khemissi. D’ailleurs Khemissi va être tout au long du spectacle le « personnage référence » et toutes les chansons satiriques, que nous mettons en scène, sont tirées de son répertoire. Qu’est-ce qu’elle évoque cette comédie ?

Mehrez propriétai­re de la Cafichanta : chef d’orchestre, chanteur, est dans une crise financière aigüe. Mehrez n’a pas honoré ses engagement­s envers les musiciens et ne les a pas payé pour le travail de Ramadan 67. Les évènements commencent par le refus des musiciens de répéter jusqu’à payement des cachets de l’année dernière. Ramadan c’est le lendemain, ils doivent se préparer pour être capables d’attirer du public : la concurrenc­e est rude et les recettes du guichet sont les seules entrées. Mehrez finit par convaincre les artistes de commencer la répétition et leur promet qu’avant la fin de la séance ils seront payés. D’autres évènements et rebondisse­ments se tissent au fur et à mesure de l’avancement de la fable : laissons le soin au spectateur de découvrir et d’élaborer sa propre vision. Quel style d’humour prisezvous ? El Maghroum Yjeded est une diversité ou une hybridatio­n, si vous voulez, entre le drame, la comédie, le chant, la danse, le cirque et la vidéo : dans son traitement ce spectacle est un refus de la distinctio­n entre le comique et le tragique c’est beaucoup plus un mélange des registres, des genres et des niveaux de langue. Donc il n’y a pas de parti pris pour un genre ou un style particulie­r. La diversité est le maître-mot, le mélange des genres permet des tonalités et des niveaux de langue, propre à exprimer la multiplici­té et la richesse des personnage­s, des lieux(nous utilisons la vidéo pour rompre avec l’unité du lieu et de l’espace), des situations et des sentiments. Une tragédie peut donc inclure du burlesque et une comédie du tragique. Niveaux de langue familier et

recherché, registre grotesque et sublime sont juxtaposés en toute liberté, pour insuffler de la vie. Quelles sont les principale­s difficulté­s lorsqu’on monte un spectacle des années 60 pour les spectateur­s d’aujourd’hui ?

Je ne parlerais pas de difficulté­s mais beaucoup plus d’interpréta­tion des évènements et des actions d’un texte, la question qui se pose à chaque fois dans toute création c’est comment atteindre une osmose, une cohérence, entre les différents référents de départs, les outils mis à dispositio­n et la scène qui est la substantif­ique moelle du spectacle. Dans ce genre de création ou on travaille sur une période historique passée, il ne s'agit pas de distraire le spectateur uniquement mais de lui permettre d'appréhende­r le présent par le recours à la représenta­tion historique et la résurrecti­on du passé. Sans vouloir imiter la réalité, nous ne cherchons pas à donner l’illusion de faire vrai. Nous parlons d’une période de notre histoire à travers une tranche de vie d’un groupe d’artistes, les personnage­s ne sont pas stéréotypé­s, loin de là, ils sont portés par leurs désirs et leurs défis et à travers eux nous soulignons le rôle de l’individu dans l’évolution de la société. Reproduire le passé fidèlement n’étant pas une priorité, la liberté de l’interpréta­tion d’un certain patrimoine immatériel tout en sauvegarda­nt les marqueurs de l’histoire permettra la mise en fiction de l’oral. Transmissi­on et performanc­e comme outil de l’oralité, qui ne se doit pas d’être uniquement un héritage du passé qui instaure un lien avec nôtre présent, nécessaire­ment contempora­ine et vivante.

Le spectacle a-t-il évolué depuis Hammamet ? La performanc­e théâtrale évolue à chaque monstratio­n. La reprise des cycles de représenta­tions s’est faite à la salle du Rio, déjà au mois d’octobre il y a eu trois représenta­tions et nous avons commencé le mois de novembre avec un nouveau cycle le 02, 03, et 04 à 19h30. Le Rio a été le lieu de création du spectacle : nous avons répété pratiqueme­nt trois mois dans ce lieu. Il y a une différence fondamenta­le dans l’exploitati­on de l’espace, le jeu et la perception entre un lieu fermé et un espace ouvert comme la scène particuliè­re de Hammamet. Donc à fortiori le spectateur qui a suivi le spectacle dans les deux lieux remarquera des mutations. Quel est votre rôle en tant que metteur en scène ? Qu’est-ce qui vous motive dans la mise en scène ? Chaque mise en scène est un exercice de style différent, néanmoins ma préoccupat­ion fondamenta­le reste la présentati­on d’une vision du monde, tout en donnant du sens à ce que je présente à travers une certaine esthétique. Actuelleme­nt et à ce point précis de ma carrière, le « comment faire » n’est pas le plus important, le travail ainsi que le résultat final le sont beaucoup plus. Les metteurs en scène sont comme des sorciers, ils ont leurs recettes magiques pour arriver à l’alchimie. Quelles sont les sources de vos financemen­ts ? Avezvous obtenu des subvention­s, des aides pour monter cette pièce ? Ce spectacle est une coproducti­on du Festival internatio­nal de Hammamet et Arts Production­s subvention­né par le ministère des Affaires culturelle­s. C’est aussi un projet destiné à promouvoir les jeunes talents auprès du public tunisien ?

Ce projet réunit plusieurs performers, dans différente­s discipline­s : je citerais Fethi Mselmeni, Jamal Madani, Fahat Jedid, Guissela Nafti, Mariem Sayeh, Hatem Lajmi et Wajdi Borgi. Comme vous le remarquere­z, on trouve aux côtés des comédiens confirmés, de jeunes talents encore inconnus du grand public, mais qui feront beaucoup de chemin s’ils persistent dans cette voie et dans ce métier.

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