Le Louvre d’abou Dhabi, une histoire de l’art prédigérée
Un mirage culturel construit au milieu des sables. L’espoir de devenir un «Guggenheim Bilbao Bis», ce musée espagnol créé de toute pièce dont le succès n’a jamais pu être reproduit… Le Louvre Abu Dhabi, qui ouvrira ses portes au public ce samedi 11 novembre, a cette ambition. Reste à avoir les moyens, notamment culturels et artistiques… de ces ambitions. La franchise aura mis près de dix années pour se concrétiser. Depuis la signature de l’accord de 30 ans par Jacques Chirac en mars 2007 et le vote quelques mois plus tard du parlement français autorisant le prêt des oeuvres appartenant au patrimoine national. Dix ans pendant lesquels les polémiques ont accompagné l’entreprise: de la controverse franco-française dénonçant un projet purement financier auxaccusations répétées D'ONG sur les conditions de vie et de travail déplorables des ouvriers travaillant sur les chantiers.
Faire fructifier la marque Louvre à l’étranger
L’émir qui dirige ce richissime micro-état s’est offert une attraction culturelle de classe mondiale avec, à côté du Louvre, des hôtels, des boutiques de luxe et des golfs au coeur du désert. Mais les grandes ambitions culturelles initiales ont été revues à la baisse. Certaines ont été reportées à l'image de la construction du Zayed national Museum, d’autres sont en voie d’être tout simplement abandonnées comme le Guggenheim d’abou Dhabi dessiné par l’architecte Frank Gehry. Derrière le projet français, un constat simple: le Louvre possède une collection considérable d’oeuvres d’art. Elle représente 460.000 pièces dont seulement 35.000 sont exposées à Paris et à Lens, autant dire presque rien. Enfin, il y a le nom Louvre, une appellation si prestigieuse qui vaut à elle seule vaut 400 millions d’euros sur 30 ans. Le projet architectural signé Jean Nouvel est venu compléter l’idée initiale avec une certaine emphase mystique: «Quelque chose entre une Medina arabe et une Agora grecque un lieu de rencontre et d'échange autour de l'art et la vie dans un contexte de complète sérénité». Le résultat est un dôme d’acier un peu lourd constellé d’étoiles, surplombant une cinquantaine de bâtiments au bord des eaux. Le Louvre est installé sur une île artificielle, Saadiyat, de 27 kilomètres carrés, créée pour un prix faramineux de 18 milliards de dollars… avant la crise financière de 2008. Le chantier a coûté 580 millions d’euros et connu cinq années de retard, dont un arrêt complet en 2011, lors des Printemps arabes. La crise économique et des difficultés techniques inattendues, notamment la consolidation des protections du bâtiment, singulièrement pour les entrepôts se situant au-dessous du niveau de la mer, expliquent le retard. Il faut y ajouter le renforcement des mesures pour protéger les collections du terrorisme.
Un parcours oecuménique
Le musée, dirigé par le français Manuel Rabaté et Hissa Al Dhaheri, invite les visiteurs à explorer 12 chapitres de l’histoire de l’art mondial, de la préhistoire au XXIE siècle. Au travers des salles, la volonté permanente est de mettre en avant les passerelles entre les différentes cultures et régions du monde, de juxtaposer les chronologies pour mieux souligner l’humanité partagée à travers les âges. Les comparaisons interculturelles sont souhaitées et provoquées, comme dans la galerie où se trouvent trois anciens masques d’or de Chine, du Pérou et du Moyen-orient. Mais au-delà des bonnes intentions affichées, les doutes existent sur la réalité de la démarche. Une peinture du XVIIE siècle d’une plantation d’esclaves est étiquetée «La résidence d’un planteur de canne à sucre au Brésil», sans mentionner le commerce européen et arabe des esclaves africains au cours des siècles. Les initiateurs du projets clament qu’il n’y a aucune censure, notamment de la présentation de la nudité, avec la présence d’une figurine féminine du Mali aux formes proéminentes signes de fertilité, ou sur les symbolismes religieux. Chaque religion est représentée: une page d’un très ancien coran, le coran bleu, avoisine une torah, livre saint hébraïque provenant du Yémen, ou une statue hindouiste.
Des prêts prestigieux
Pour le premier accrochage, sur les 600 oeuvres présentées la moitié est prêtée par les musées nationaux français, Louvre en tête, mais aussi le musée d’orsay, la Bibliothèque Nationale de France, le musée Guimet, le Centre Pompidou, le Château de Versailles ou encore le musée Rodin. L’autre moitié des oeuvres provient de la collection propre du Louvre d’abou Dhabi. Une sélection transversale achetée sur le marché de l’art au cours de la dernière décennie, suivant les conseils de conservateurs français dirigé par Jean-françois Charnier, directeur de la recherche et des collections, Le résultat est un méli-mélo d’objets d’art et de tableaux coûteux, un gigantesque cabinet de curiosités réparties dans 23 galeries permanentes. Certaines pièces ont déjà été montrées en 2014 à Paris lors de l’exposition «Naissance d’un musée». Elles soulignaient déjà les limites du projet.