Le Temps (Tunisia)

L’incursion turque en Syrie est périlleuse

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Le répit aura été de courte durée. En lançant une offensive aérienne et terrestre dans le nord de la Syrie, samedi 20 janvier, la Turquie a ouvert un nouveau front dans la guerre qui déchire ce pays depuis six ans et déclenché, par la même occasion, la première bataille de l’aprèsdaech. Avec un sens de l’à-propos dont le cynisme n’échappera à personne, le président Recep Tayyip Erdogan a baptisé cette opération « Rameau d’olivier ». L’incursion de troupes turques au sol, dimanche, dans la région d’afrin, précédée de frappes aériennes menées par des avions turcs, vise, selon Ankara, à établir une zone tampon de 30 kilomètres dans cette région frontalièr­e de la Turquie. Pourquoi M. Erdogan prend-il le risque immense de remettre le feu aux poudres dans la région, alors que les ruines de l’organisati­on Etat islamique sont encore fumantes ? Parce qu’il veut à tout prix empêcher la constituti­on d’un espace aux mains des Kurdes aux frontières de la Turquie. Cette déterminat­ion à faire de cette cause un « combat national », comme il l’a présentée dimanche à ses concitoyen­s, a tourné à l’obsession. Afrin est l’un des cantons de la Rojava, ou Kurdistan syrien, la « patrie » kurde. Ce canton est contrôlé par les milices kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), bras armé du Parti de l’union démocratiq­ue (PYD), lui-même considéré comme la branche syrienne du PKK, le Parti des travailleu­rs du Kurdistan. Or le PKK, impliqué dans une guérilla en Turquie, est classé comme organisati­on terroriste par Ankara, mais aussi par une bonne partie de la communauté internatio­nale, dont les Etatsunis et l’union européenne.

Le grand jeu des alliances relancé

-L’affaire ne serait qu’un nouveau foyer de tension régional dans une zone qui n’en manque pas, si le YPG n’était directemen­t soutenu par les Etats-unis. Washington s’est, en effet, très largement appuyé depuis 2014 sur ses combattant­s pour porter l’offensive contre l’organisati­on Etat islamique en Syrie, sans avoir à déployer des troupes américaine­s au sol. Le fait que la Turquie et les Etats-unis soient alliés au sein de L’OTAN ajoute un peu plus de complexité à l’histoire. De récentes déclaratio­ns du secrétaire d’etat américain Rex Tillerson sur le maintien de l’aide militaire de Washington dans la région frontalièr­e turco-syrienne ont été très mal interprété­es à Ankara, provoquant l’ire du président Erdogan, qui y a vu un nouveau soutien aux Kurdes alliés au PKK. L’opération « Rameau d’olivier » relance donc le grand jeu des alliances dans la tragique affaire syrienne. La Russie semble avoir laissé faire, retirant ses propres troupes d’afrin et évitant apparemmen­t d’intercepte­r les avions turcs alors qu’elle contrôle l’espace aérien du nord de la Syrie. Moscou s’est certes déclaré « préoccupé » par l’interventi­on de la Turquie, mais s’est empressé d’en attribuer la responsabi­lité aux Etats-unis et à leurs « mesures provocatri­ces visant à séparer » les régions kurdes des pays qui les abritent. La Russie reproche également au Pentagone une « livraison incontrôlé­e d’armements modernes » au YPG dans le nord de la Syrie. La France a demandé une réunion du conseil de sécurité de L’ONU sur la question. Cela n’arrêtera sans doute pas la très périlleuse incursion turque, mais elle permettra au moins à M. Erdogan de recenser ses soutiens.

Le compte sera vite fait. Pour l’heure, Ankara ne peut se targuer de l’appui d’aucune grande puissance dans cette irresponsa­ble échappée solitaire.

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