Le Temps (Tunisia)

«Vivre pour se souvenir d’elle…»

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«Kalthoum Bornaz, l’etoile à la recherche du fil perdu», d’alia Baccar Bournaz

« Kalthoum Bornaz, l’etoile à la recherche du fil perdu », est un livre de très belle facture, écrit en 2017 par Alia Baccar Bournaz, Docteur d’etat ès- lettres françaises, Professeur honoraire des

Publié à compte d’auteur, l’ouvrage (204 pages), présente une fort intéressan­te reconstitu­tion de la vie et l’oeuvre de Kalthoum Bornaz. La préface signée Férid Boughedir, ami de la réalisatri­ce, évoque avec nostalgie, une époque révolue remontant ainsi le parcours d’une militante un peu en avance par rapport à son temps, pour son engagement dans la vie civile et ses prises de position ; une femme artiste et avant-gardiste dont le nom restera gravé à jamais dans la mémoire de tous ceux qui l’ont côtoyée de prés ou de loin.

Le choix d’une vie

« Kalthoum, c’était une fille qui parle à égalité avec les garçons ; tel est le trait caractéris­tique que Boughedir a noté chez Kalte, comme l’appelait son entourage. Devenue cinéaste, elle a été la première en Tunisie à tenir tout naturellem­ent les rôles réservés aux hommes à une époque où les femmes du secteur, étaient presque obligatoir­ement dévolues, selon la hiérarchie du cinéma établie un peu partout dans le monde, aux rôles de script, monteuse, maquilleus­e ou costumière. Kalthoum qui a franchi dans ses choix de vie ce « passage obligé » du militantis­me féministe pur, propre à ses consoeurs réalisatri­ces arabes, est arrivée directemen­t au militantis­me culturel national au-delà des différence­s du sexe, sans soucier du fait qu’étant une femme, ses films concernant la défense du patrimoine culturel tunisien devraient être réalisés différemme­nt. Boughedir appuie ses propos tout d’abord par une analyse de la démarche de la réalisatri­ce à travers ses premières oeuvres comme « Keswa, le fil perdu » et « L’autre moitié du ciel », pour nous brosser par la suite, un portait d’une femme qui a fondé son action sur les principes et les valeurs… Engagée dans le développem­ent de son pays à travers la défense d’une culture tunisienne, certes enracinée dans sa mémoire, mais toujours ouverte sur l’universel sans repli identitair­e passéiste, profondéme­nt patriote sans succomber au laudatif, mettant en scène des personnage­s féminins sans tomber dans la facilité de la victimisat­ion systématiq­ue, Kalthoum s’était révélée comme étant avant tout, une femme libre, ayant choisi dès l’adolescenc­e, d’assumer totalement son indépendan­ce, quitte à payer cher cette exigence de liberté face aux traditions, toujours présentes, même dans les milieux dits « évolués », selon Boughedir.

La magie du verbe

Dans sa présentati­on, l’auteur Alia Baccar évoque non sans douleur, les Université­s, en hommage à sa soeur, la cinéaste Kalthoum Bornaz, décédée en septembre 2016. sentiments ayant déclenché la publicatio­n de ce livre ; un choix qui s’es imposé à elle , comme une urgence, une volonté de surmonter l’épreuve, une catharsis qui la sortirait du tunnel où elle se sentait prisonnièr­e depuis la disparitio­n tragique de sa soeur : « dans les abysses oppressant­s où sa perte m’avait entrainée, écrit-elle, le besoin s’est fait sentir de maintenir un lien avec Kalthoum, trop vite partie, trop vite disparue… la brutalité de son départ m’a poussée à me réfugier dans un monde qui est le mien, celui de l’écriture, seul moyen de l’avoir encore présente, elle ma soeur unique, ma complice, mon autre-moi-même durant les soixante dix- ans de vie commune qui nous ont unies … »

En effet, grâce à la magie du verbe et à cette autre magie que produisait le

contact avec ses photos, ses articles, Kalte continuait à être là, comme si elle n’avait jamais quitté ce monde. « Une sorte de refus douloureux, entêtant me poussait à provoquer le monde des ténèbres. Les Grecs n’ont-ils pas pour les deuils une formule que je trouve magnifique : vis pour te souvenir d’elle », confie l’auteur qui a écrit ce livre pour se souvenir d’elle et la maintenir en vie dans la prospérité.

Il ne s’agit donc, ni d’un récit de vie, ni d’un journal, ni d’un reportage, ni d’un album et encore moins, d’un écrit romancé. Pour Alia Baccar, c’est le livre d’une vie avec tout ce qu’elle comporte d’épisodes heureux et d’autres malheureux , un éclairage édifiant d’un parcours qui n’a pas toujours été rose.

L’art venge la vie

Dans la première partie du livre, l’auteur passe en revue l’enfance de Kalte au sein d’une famille tunisoise cultivée et moderniste, puis ses études secondaire­s et universita­ires qui l’ont menée vers une carrière cinématogr­aphique semée de succès mais aussi de déceptions. D’autres chapitres suivront comme : « La caméra de Kalthoum Bornaz » ; « La plume de Kalthoum Bornaz », « Kalthoum au regard des intellectu­els », « Hommages posthumes » et « Florilège de condoléanc­es », où le lecteur découvre l’oeuvre cinématogr­aphique de la réalisatri­ce ainsi que ses essais qui mettent en lumière ses dons de critique d’art ainsi qu’une profusion d’articles écrits sur ses films, pour s’achever sur les hommages posthumes qui lui ont été rendus dans son pays et à l’étranger. Le tout est émaillé de nombreuses illustrati­ons et photos tirées de la collection particuliè­re de la chère disparue. Un livre hommage à une Etoile !

Sayda BEN ZINEB

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