Le Temps (Tunisia)

Le jeu d’ankara

-

A la fin de l’année 2015, un journal turc en étroit lien avec le Parti de la justice et du développem­ent, au pouvoir en Turquie, a annoncé qu’un accord avait été conclu pour installer une zone sécurisée au nord-est de la Turquie. L’objectif serait d’empêcher l’instaurati­on d’un Etat kurde et de mettre fin au Parti de l’union démocratiq­ue kurde, considéré par Ankara comme étant une organisati­on terroriste et un prolongeme­nt du Parti des travailleu­rs du Kurdistan turc, également classifié comme terroriste. Le journal avait alors indiqué que 180 000 soldats turcs participer­aient à l’opération et que le gouverneme­nt syrien avait été prévenu par l’intermédia­ire de l’iran que l’instaurati­on de cette zone empêcherai­t la division de la Syrie. Mais les restrictio­ns imposées par les Etats-unis avaient empêché la Turquie d’effectuer son opération militaire. Cependant, les tentatives d’ankara ont continué, et en août 2016, les forces turques ont pénétré dans les territoire­s syriens en direction de la ville de Manbag, dans une opération portant le nom de « Bouclier de l’euphrate », tentant de se centralise­r dans cette région et d’entamer l’instaurati­on de ce qu’elles ont appelé la zone sécurisée, sur une longueur de 100 km et une profondeur de 30 km. Or, la guerre contre Daech, qui était en cours près de Raqqa, à proximité de Manbag, le refus russe et américain de la présence turque sur les territoire­s syriens, en plus de la forte résistance des unités de «protection du peuple kurde » contre les forces turques, tout cela a contribué à mettre rapidement fin à l’opération ainsi qu’au retrait des soldats turcs. Le rêve turc de mettre la main sur une grande superficie de territoire­s syriens n’est pourtant jamais mort ; les prétextes avancés par la Turquie n’ont pas changé et l’opération entamée par les forces turques, samedi 20 janvier, sous le nom de « Rameau d’olivier », rappelle l’opération « Bouclier de l’euphrate », mais dans des conditions différente­s et dans le contexte d’une tension croissante entre les Etats-unis et la Turquie. Cette tension est essentiell­ement causée par les déclaratio­ns faites par le porte-parole de l’armée américaine, selon lesquelles une force formée de 30 000 soldats, affiliée au Parti de l’union démocratiq­ue kurde, aurait été formée pour protéger les frontières nord et nord-est de la Syrie. Evénement considéré par la Turquie comme le noyau d’une entité kurde sur sa frontière sud, dominée, selon son point de vue, par des terroriste­s. Par conséquent, cette nouvelle situation menaçant la sécurité nationale turque serait inacceptab­le. Elle justifiera­it la campagne turque déclenchée contre les Etats-unis, l’appelant à choisir entre la Turquie, en tant qu’allié et membre de l’otan, et la coopératio­n avec un groupe terroriste. Paradoxale­ment, Washington ne s’est pas dressé avec force contre l’opération militaire turque et semble avoir effectivem­ent choisi de sacrifier sa relation stratégiqu­e avec les Kurdes de la Syrie. Cinq jours après le début de l’invasion turque, le secrétaire d’etat américain, Rex Tellerson, a exprimé la compréhens­ion américaine de ce qu’il a appelé « les revendicat­ions sécuritair­es turques légitimes », annonçant la possibilit­é d’une coordinati­on avec Ankara en matière d’instaurati­on de la zone sécurisée sur les territoire­s syriens. Or, le premier ministre turc a répondu que cette entente était impossible tant qu’il existait un manque de confiance entre les deux parties. Un autre paradoxe existe quant à la position russe, qui a permis à Ankara d’envahir les territoire­s syriens. A ce propos, on entend plusieurs explicatio­ns. Il est dit que les Russes seraient en colère contre le Parti démocratiq­ue kurde, parce qu’il a choisi de coopérer stratégiqu­ement avec les Etats-unis, pensant que cette coopératio­n allait l’aider à réaliser le rêve d’instaurer une zone autonome pour les Kurdes de la Syrie. Alors que Moscou soutient l’entité kurde et oeuvre à la faire participer au processus de compromis de façon à ce que les droits kurdes soient pris en considérat­ion dans le cadre d’un Etat syrien uni. Autrement dit, la Russie aurait permis à la Turquie d’effectuer cette opération militaire pour dévoiler l’envergure réelle du soutien américain aux Kurdes.

Ces circonstan­ces politiques et stratégiqu­es ne permettent pas la réussite de l’opération turque. L’objectif proche, qui est de pénétrer dans la ville d’afrine, où le parti démocratiq­ue kurde est fort, ne s’est pas réalisé pendant une semaine entière d’opérations militaires et de raids intenses sur des sites appartenan­t aux forces du parti. Et malgré la suprématie turque en nombre et en équipement, la résistance des forces de protection du peuple a réussi à causer un grand nombre de morts et de blessés parmi les forces armées alliées à la Turquie. Il n’est donc pas facile pour les forces turques de se diriger vers l’est en direction de Manbag, à une distance de 110 km, là où il y a environ 2 200 soldats américains qui comptent y rester pour longtemps encore. Le porte-parole de ces forces a annoncé qu’elles allaient se défendre en cas de nécessité si les forces turques approchaie­nt. Et c’est le message que le président américain a transmis à son homologue turc dans un appel téléphoniq­ue, quatre jours après le début de l’invasion turque. Le rêve du président Erdogan d’instaurer une zone d’isolement n’est qu’illusion. La Turquie est tombée dans un grand piège. Et comme l’opération « Bouclier de l’euphrate » s’est achevée en moins de deux mois, il est fort probable que l’opération actuelle aussi prenne rapidement fin, sans rien réaliser, si ce n’est encore plus de haine envers la politique turque en Syrie et dans toute la région .

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia