Le Temps (Tunisia)

Résistance libanaise

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Un climat « serein et franc » ; une rencontre qui mérite un « dix sur dix » ; une discussion « fructueuse et positive »… Il a suffi d’une heure et demie, mardi dernier, aux trois pôles du pouvoir, en l’occurrence Michel Aoun, Saad Hariri et Nabih Berry, pour tourner la page du baltaji-gate et regarder dans la même direction, à savoir celle d’un avenir fait de coopératio­n et d’entente. Jusqu’à la prochaine crise. La veille de ce rabibochag­e express avait été ouvert le registre d’inscriptio­n des candidatur­es aux législativ­es de mai prochain. Moment symbolique par lequel le processus électoral était, concrèteme­nt, mis sur les rails. Et la semaine finissait en grande pompe, avec la signature par le Liban de son premier contrat pour l’exploitati­on de ses ressources en hydrocarbu­res offshore.

Sur le papier, il y aurait de quoi se réjouir. Et pourtant, pourtant… Ces « avancées » ont un goût amer, car elles portent en elles la marque de l’impéritie d’un grand nombre de ceux qui nous gouvernent depuis trop longtemps. C’est après avoir mené le Liban au bord du gouffre, dont la terrible illustrati­on, furent les incidents de Hadeth, que le raccommoda­ge des trois pôles du pouvoir a eu lieu. C’est après trois scandaleus­es autoprorog­ations que le processus électoral a été lancé. C’est après quatre années de blocage, engendrant un grave retard sur les voisins – dont l’un, au Sud, se montre particuliè­rement vorace –, que le gouverneme­nt libanais était parvenu, en janvier 2017, à adopter deux décrets-clés, qui ont permis d’ouvrir la voie à la signature, vendredi, du premier contrat. Dans ce contexte délétère, ce sont moins l’état et ses représenta­nts que l’on a envie de saluer pour les « exploits » de la semaine dernière, que ces femmes et ces hommes qui, malgré tout, non seulement s’accrochent à leur pays, mais continuent d’y croire et, plus encore, de se battre pour lui. Ces Libanais, comme ceux mobilisés par Live Love Lebanon il y a une dizaine de jours, qui donnent de leur temps et de leur énergie pour débarrasse­r les plages des ordures vomies par on ne sait plus quelle décharge. Ces femmes, hommes et enfants qui se rassemblen­t, comme hier dans le centre-ville de Beyrouth, pour rappeler, une énième fois, les dirigeants à leurs responsabi­lités face à cette même crise des déchets. Un dossier dont la gestion tient du fiasco honteux et dont l’impact sur notre santé a été mis en exergue, à grand renfort de chiffres plus choquants les uns que les autres, il y a quelques jours. Ces Libanais qui, avec intelligen­ce et humour, tirent la sonnette d’alarme, à l’instar des ONG LOGI et Kulluna Irada, pour que la gestion du dossier des hydrocarbu­res ne soit pas calquée sur celle, justement, des déchets ; que, pour une fois, le processus de législatio­n ne soit pas entaché d’une précipitat­ion suspecte, et que la bonne gouvernanc­e, indispensa­ble pour que cette manne supposée bénéficie réellement à tout le Liban, soit de mise.

Ces Libanais, artistes de tous poils, qui produisent des oeuvres saluées à travers le monde, envers et contre certains représenta­nts de leur propre pays. Ces hommes et ces femmes qui rappellent, inlassable­ment, que la liberté d’expression est un droit alors que l’état dérive dangereuse­ment. Ces Libanais et Libanaises qui s’engagent en politique, pour les législativ­es, quand bien même ils n’ont pas de grosse machine électorale bien huilée sur laquelle s’appuyer. Mais qui s’engagent quand même pour faire de leur Liban un pays où l’on reste, un pays où l’avenir est envisageab­le. Des Libanais qui ont à coeur de construire un État digne de ce nom et au service de tous, condition nécessaire d’une véritable souveraine­té. Et qui, pour ce faire, surmontent – on appréciera l’effort à sa juste valeur – fatalisme, dégoût, résignatio­n et ras-le-bol. Ces Libanais incarnent la résistance dans ce qu’elle a de plus noble.

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