Le Temps (Tunisia)

Des voix racontent une histoire qui semble se répéter

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50 ans après la mort de Martin Luther King

50 ans après la mort de Martin Luther King

50 ans après la disparitio­n du pasteur Martin Luther King, Memphis se souvient… Les pleurs, la colère et la déterminat­ion de poursuivre le combat continuent de hanter l’esprit des acteurs et témoins cette époque troublée. Comme pour contrer les dérives racistes du XXIE siècle, des voix s’élèvent et racontent une histoire qui semble tristement se répéter.

Qu’ils soient enseignant­s, historiens, auteurs ou musiciens, ils conservent tous cet engagement citoyen qui rythme leur quotidien. La date du 4 avril 1968 n’est pas si loin pour ces hommes et ces femmes attachés à l’égalité raciale. Ils ont tous en mémoire des images terrifiant­es, des déclaratio­ns insultante­s, des exactions violentes, mais ils ont fait face et se font un devoir de conter leur courageuse épopée pour que l’avenir de leurs enfants soit assuré.

Bertha Looney est aujourd’hui enseignant­e au Southwest Tennessee Community College de Memphis. À 76 ans, elle tient à rester en contact avec la jeune génération qui lui donne foi en une paix sociale future. Elle sait combien les temps ont changé, combien les conditions de vie ont évolué, mais elle reste vigilante, car sa propre expérience révèle la fracture entre Blancs et Noirs aux États-unis. Elle fit partie des « Memphis State Eight », ces huit premiers adolescent­s noirs autorisés à entrer à l’université du Tennessee en vertu d’une loi fédérale de 1954.

Malgré l’opposition farouche des autorités locales et l’hostilité de 5 000 étudiants blancs, elle fit ses premiers pas sur le campus en 1959. Bien qu’elle ne se considère pas comme une pionnière du mouvement des droits civiques, elle a progressiv­ement acquis une réputation de femme téméraire. Elle participa même aux marches non violentes initiées par Martin Luther King qu’elle rencontra la veille de son assassinat.

Manifester paisibleme­nt, quitte à affronter les chiens policiers, était une posture que ne partageaie­nt pas tous les militants africains américains au coeur des années 1960. Le meurtre du pasteur King fit basculer la fronde de la communauté noire en une rébellion massive. Certains activistes prônèrent la manière forte et défièrent l’administra­tion américaine. Calvin Taylor était un jeune homme de 20 ans en 1968. Il commençait à trouver le temps long en observant ses aînés défiler dans les rues sans obtenir satisfacti­on. Il décida alors de se rapprocher des « Invaders », un groupuscul­e de jeunes effrontés bien décidés à suivre les préceptes du « Black Power » et des « Black Panthers ». Bien qu’il ne partageait la philosophi­e « attentiste » de Martin Luther King, il reconnaît aujourd’hui que le 4 avril 1968 représenta le tournant décisif du mouvement de contestati­on des Noirs d’amérique. Il fut d’ailleurs l’un des premiers informés de la mort du pasteur, et pour cause…

Les « Invaders » ont-ils durablemen­t incliné les choix politiques des Etats ségrégatio­nnistes ? Il est aujourd’hui difficile de l’affirmer. Calvin Taylor et ses colistiers (Charles Cabbage, Coby Smith, John B. Smith, etc.) ont, en tout cas, suscité des vocations ou, tout au moins, donné de l’élan aux résistants de l’époque.

Memphis a été un carrefour sonore majeur au milieu des années 1960 quand les chanteurs donnaient de la voix pour soutenir les combattant­s de la liberté. Le producteur, parolier et entreprene­ur américain, David Porter, fut un membre éminent de Stax Records, l’un des labels où Blancs et Noirs oeuvraient ensemble pour le bien commun. Il n’a pas oublié l’effroi que suscita la mort de Martin Luther King au sein de sa « famille » de musiciens et l’impérieuse nécessité de réagir. Subreptice­ment, les piliers du label Stax ont épousé les soubresaut­s d’une société en pleine ébullition. Le documentar­iste et auteur américain, Robert Gordon, a longuement étudié l’interactio­n entre les événements historique­s et l’inventivit­é des artistes. Il a ainsi décelé le sens caché de certaines mélodies, la politisati­on des compositio­ns, et l’émoi perceptibl­e des instrument­istes et interprète­s de ce patrimoine musical inestimabl­e.

Stax Records est une exception dans l’industrie du disque américaine. Une oasis de fraternité entre personnali­tés unies par une passion commune : la musique ! La couleur de peau n’était pas la préoccupat­ion de tous ces créateurs animés par un enthousias­me collégial. Tim Sampson est l’un des heureux gardiens du temple aujourd’hui à Memphis. Il connaît l’histoire de ce label par coeur et s’en fait l’écho avec chaleur et conviction.

Il veille d’ailleurs, à travers la Stax Academy, à ce que le message d’apaisement et de tolérance de ses aînés irrigue les conscience­s et interpelle les jeunes talents. Sa profession de foi repose sur sa parfaite connaissan­ce de l’aventure Stax qui aurait pu vaciller ce fameux 4 avril 1968.

Toni Green n’avait que 16 ans lorsque le soulèvemen­t du peuple noir devenait réalité. Déjà forte tête, elle avait de la sympathie pour les « Invaders » et conduisit une révolte lycéenne malgré les intimidati­ons d’un chef d’établissem­ent totalement sourd aux aspiration­s de la jeunesse.

Devenue une chanteuse reconnue et respectée, Toni Green n’a rien perdu de sa verve militante et fait toujours entendre son discours protestata­ire quand elle le juge utile. Elle sait que la musique lui donne cet espace d’expression salvateur qui accompagne souvent les enjeux sociétaux.

Finalement, si les grands orateurs d’antan ont été réduits au silence, leurs contempora­ins ont repris le flambeau et perpétué l’intention originelle à travers leurs écrits, leurs chansons, leur dévotion, leur spirituali­té, leur générosité. Les mots de Martin Luther King résonnent encore et toujours avec une force décuplée par ces milliers de porte-voix célèbres ou anonymes qui, chaque jour, font allégeance à des valeurs universell­es : la solidarité, l’unité et la bienveilla­nce !

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