Le Temps (Tunisia)

Déplacemen­t de population… pour modifier la démographi­e

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Après l’attaque chimique présumée à Douma samedi dernier, le dernier bastion rebelle de la Ghouta Orientale, à l’est de Damas, est tombé. « Le drapeau syrien flotte désormais sur Douma », a annoncé l’armée russe qui négocie les évacuation­s avec les rebelles de Jaïch al-islam. Des milliers de civils ont été transporté­s en bus vers le Nord de la Syrie, dans les zones toujours contrôlées par les anti-assad. Ziad Majed, politologu­e et professeur en études du Moyen-orient à l’université américaine de Paris, analyse en trois questions les enjeux politiques et démographi­ques de la prise de Douma.

La chute de la Ghouta orientale signe-telle une victoire pour le régime syrien ?

C’est une victoire pour le régime syrien, mais c’est surtout une victoire pour la Russie, pour l’iran et pour les terroriste­s chiites qui se battent du côté du régime d’assad, mobilisés par les Iraniens (le Hezbollah libanais et les milices chiites irakiennes et afghanes.) C’est également un symbole très fort qui montre qu’il n’y a en fait aucune souveraine­té d’assad dans ces régions qu’on lui attribue maintenant. C’est la Russie qui a annoncé la chute de la Ghouta, et quand Poutine a invité Assad, il n’y avait pas de drapeau syrien derrière le président de la Syrie, pas de traducteur non plus, Poutine lui parlait en russe alors que Assad ne comprend pas le russe, puis Poutine l’a emmené dans une salle et il lui a dit: « je te présente ceux qui ont vaincu le terrorisme en Syrie » et il lui a présenté des généraux russes.

Donc la Russie veut se montrer comme étant l’acteur principal dans cet acte de reconquête de la Ghouta de Damas. D’ailleurs ce sont les Russes qui ont négocié directemen­t avec le dernier groupe rebelle Douma, Jaïch al-islam, sur les conditions de départ des combattant­s et des dizaines de milliers de civils qui étaient assiégés et bombardés dans la ville. C'est aussi la police militaire russe qui est rentrée à Douma et non pas l'armée du régime, ni même les milices iraniennes et les terroriste­s chiites.

Cette offensive sur la Ghouta entraîne un nouveau déplacemen­t de la population. Quelles en sont les conséquenc­es ?

On dit que les civils ont « évacué » la Ghouta, comme on l’a dit pour Alep Est, et avant cela pour Zabadani, Madaya etc,. En fait ce sont des déplacemen­ts forcés d’une population civile. Dans le droit internatio­nal, selon les Convention­s de Genève, ce sont des crimes de guerre.

Comme ailleurs, après avoir été assiégée et bombardée depuis octobre 2013, la population de la Ghouta orientale a été poussée à l’exode de force, dans la perspectiv­e de modifier démographi­quement l’ouest de la Syrie. La majorité de ces population­s déplacées sont [des] musulmans sunnites. En les déplaçant, il y a une volonté de rééquilibr­er la démographi­e syrienne, pour que les sunnites ne soient pas en majorité dans l’ouest du pays, cette zone que le régime d’assad, les Russes et les Iraniens contrôlent. Pour le Hezbollah et les Iraniens, c’est tout aussi important stratégiqu­ement: ils ont réussi à vider toutes les zones autour de la frontière libanaise. Pour beaucoup de Syriens, c’est le signe d’une volonté de nettoyage ethnique et de remplaceme­nt de la population.

Que peuvent faire les Russes, les Iraniens et le régime syrien de cette victoire miliaire ?

Le dilemme pour la Russie, c’est qu’elle n’arrive pas à capitalise­r politiquem­ent sur son succès militaire pour imposer une solution politique.

L’opposition syrienne - bien qu’à genoux n’accepte toujours pas les conditions russes. Les deux tentatives des Russes d’inviter des représenta­nts de l’opposition [aux négociatio­ns] d’astana et de Sotchi ont échoué et c’était un fiasco ! Il n’y avait que le régime, les Iraniens et les Russes avec une délégation turque histoire de dire que la Turquie était partenaire de ces processus-là.

La Russie n’arrive pas non plus à convaincre les Occidentau­x à maintenir Assad. Elle n’arrive pas à élaborer un plan de transition et elle attend toujours davantage de succès militaires sur le terrain pour que finalement, peutêtre, cela pousse les opposants et les acteurs régionaux et internatio­naux à accepter la nouvelle configurat­ion en Syrie. Celle où ils sont les maîtres du jeu et dans laquelle Assad reste au pouvoir.

Les Russes ont également un problème avec l’équilibrag­e qu’ils essayent de faire entre les Israéliens et les Iraniens. Ce sont deux alliés des Russes, mais ils sont ennemis entre eux évidemment. Le Sud de la Syrie est de temps à autre une zone de tensions entre ces deux alliés de la Russie.

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