Conférence autour du thème «Le vivant»
Dr. Rafik Boukhris à Beït al-hikma
Le département des sciences naturelles et mathématiques de l’académie Tunisienne des sciences, des lettres et des arts "Beït al-hikma" organise le jeudi 26 avril 2018, à 17h00, une conférence autour du thème «le vivant». La conférence sera donnée par Dr. Rafik Boukhris.
Ils sont très nombreux ceux qui naissent, mènent une simple vie biologique, presque animale, puis meurent sans avoir réfléchi ni à ce qui les entoure, ni à ce qu’ils sont. Schopenhauer a porté sur eux un jugement sévère : « Ceux qui ne se posent pas de question sur leur existence et celle de l’univers sont mentalement déficients ».
Tenter de comprendre l’univers, le vivant et dans la forme la plus réussie de ce dernier, l’humain, est la question sublime que tout humain doit se poser. Karl Popper a dit que la passion majeure de tout humain est de se poser des questions sur ce monde où il a eu la chance inouïe de se retrouver vivant par le plus grand des hasards de la loterie de la génétique: «Je crois personnellement qu'il y a au moins un problème philosophique qui intéresse tous les hommes qui pensent. C'est le problème de la cosmologie : le problème de comprendre le monde, nous-mêmes et notre connaissance en tant qu'elle fait partie du monde…l'intérêt de la philosophie, aussi bien que celui de la science, réside uniquement dans leurs contributions à l'étude du monde ».
Dawkins a fait un commentaire semblable: «Après avoir dormi pendant des centaines de millions de siècles, nous avons finalement ouvert nos yeux sur une planète somptueuse, scintillante de couleur, abondante de vie. Au bout de quelques décennies, nous devons fermer nos yeux de nouveau. Est-ce que ce n’est pas une façon noble, et éclairée, que de passer notre court temps au soleil, à essayer de comprendre l’univers, et comment il nous est arrivé de nous réveiller en son sein ».
L’humain est peut-être le seul produit de l’univers devenu conscient de l’existence de son géniteur. Nous ne serions alors en définitive que l’univers réalisant qu’il existe. Brian Cox a écrit : « Un Univers narcissique crée l’homme pour se regarder. Nous sommes le cosmos devenu conscient et le vivant est le moyen par lequel l’univers se comprend lui-même ».Rivarol l’avait déjà précédé : « Otez le genre humain, l’univers est sans témoin ».
Le biologiste autrichien Riedl a suggéré un des premiers qu’il existerait un jeu réciproque entre un événement dû au pur hasard (comme une mutation par exemple) et la nécessité comme par exemple la pression de la sélection naturelle. Il résulte de ce jeu réciproque une harmonie postétablie, le vivant n’ayant pas évolué selon des lois préétablies, un programme, mais a développé ses lois au fur et à mesure de sa progression. Tout est le résultat du jeu réciproque du hasard et de la nécessité dans la longue marche de l’évolution. Rien n’a été planifié à l’avance, le vivant a progressé non pas par le gradualisme classique mais probablement par les bonds successifs du saltationnisme comme soutenu Jay Gould.
Nous existons aujourd’hui parce que nous avons survécu à de terribles événements qui auraient pu nous faire disparaitre et parce qu’une longue série de sauts successifs dus à des hasards extraordinaires ont fait progresser le vivant de ses formes les plus simples jusqu’à sa forme la plus évoluée (bien qu’encore imparfaite) nous-mêmes, les humains d’aujourd’hui.
Deux grands savants ont dit à ce propos : « Les humains sont le résultat d’un chemin évolutif d’une exquise complexité, plein de faux départs, d’impasses, et d’accidents statistiques » (Carl Sagan) Parlant des humains, Jacques Monod a écrit : « L’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’univers d’où il a émergé pat hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. A lui de choisi entre le Royaume et les ténèbres ». Et dans un autre contexte, il a qualifié ainsi l’apparition de la vie puis de l’humain : « Notre numéro est sorti à la roulette de Monte Carlo…deux énormes coups de chance successifs…un hasard au carré ».
En fait, nous existons parce que notre numéro a été gagnant à la roulette en au moins une dizaine de coups de chance successifs. Un hasard incroyable qui rend sa répétition sur une autre planète, ailleurs dans l’univers, très peu probable. La répétition sur une autre planète des deux premiers coups de chance est probable, celle des trois premiers est possible, mais pour que toute la série de la dizaine de hasards gagnants et successifs qui ont mené jusqu’à nous parait, statistiquement, presque impossible, comme si quelqu’un jouait à la loterie et gagnait dix fois de suite. La vie ne serait qu’une occasion unique survenue sur la Terre: « (La matière inerte) ne sera plus, sur la Terre, génitrice de matière vivante… Les conditions d’avant n’en permettaient pas l’émergence, et celles d’après ne la permettaient plus » (Coppens). Et pourtant ! Nous sommes vivants aujourd’hui parce que cette dizaine d’événements extraordinaires, parce que cette dizaine d’étapes fondamentales dans la création et le développement du vivant ont été accomplies successivement (sur plus de 13 milliards d’années), avec d’abord la création et la constitution de notre Univers, puis avec la présence de notre planète dans une zone remplissant les conditions Goldilocks, ce qui va permettre l’apparition puis la progression du vivant. Il est certain que la moindre variation (pour ne pas parler de l’absence) de l’une des conditions qui ont favorisé la réussite du vivant lors des sauts qualitatifs de son évolution aurait fait échouer tout le processus.
Quelques caractéristiques importantes de ces moments-clés dans la longue marche du vivant sont revues dans cet exposé, de même que seront discutés certains types de vivants mystérieux qui existent à côté de nous comme les axolotls, les tardigrades et les cténaires.
Il est possible par ailleurs qu’un facteur mystérieux, connu sous le nom de conatus (Aristote, Posidonius, Spinoza, Leibniz), al mayl (ibn Sina), wille zum Leben (Schopenhauer), wille zur Macht (Nietzsche), élan vital (Bergson), etc. pousse le vivant à évoluer et à changer. Il pourrait nous réserver, à notre insu, quelques surprises. On pourrait ainsi finir par changer en une autre espèce d’homo ou même, de façon plus différenciée encore, en un autre genre. Cette nouvelle forme serait peut-être plus à même de continuer le long voyage de l’humain, surtout si l’avenir de Homo est de devenir un humain sidéral.
Christian de Duve, prix Nobel de médecine en 1974, a commenté ainsi cette possibilité : « L’homme n’est pas l’aboutissement de l’évolution. Tel que nous le connaissons aujourd’hui, il est un stade intermédiaire, peut-être une voie de garage destinée à disparaître dans un million d’années. Comprendre, c’est comprendre avec les 100 milliards de neurones de notre cerveau. L’homme a vu son nombre de neurones plus que tripler en deux millions d’années, c’est absolument invraisemblable. Moi, je pose la question : imaginez qu’on double encore une fois le nombre de neurones. Cela créerait un instrument de compréhension capable de percevoir et de concevoir des choses que ni vous ni moi ne sommes biologiquement capables de comprendre ou d’appréhender. Je pense que cette évolution progressive va aboutir à des individus, des cerveaux qui vont approcher de plus près ce qu’on appelle « l’ultime réalité ».
Nietzche lui aussi, ne connaissant rien des ordinateurs du futur, avait prévu la venue de l’übermensch : « L’homme est un chainon entre l’animal et le surhomme : un pont sur l’abime ». Il pensait cependant que cela n’aura lieu qu’après les éons de l’évolution biologique naturelle du vivant. Or l’arrivée de son Übermensch va être beaucoup plus rapide.
L’évolution du vivant, le devenir de l’humain et de sa conscience sont maintenant soumis de plus en plus à l’inévitable emprise, à la puissante irruption de l’intelligences Artificielle et de l’intelligence Augmentée. Avec bientôt les interfaces des BCI (Brain Computer Interface), les chercheurs font aussi leurs premiers pas dans ce monde inconnu, et leurs progrès sont rapides : Googlez Neuralink, Neural Dust, et depuis le 10 avril 2018, le dernier-né de l’équipe de l’université de Californieberkeley, le Stimdust. Hybride de neurones et de silicones, l’übermensch est déjà parmi nous.