Le Temps (Tunisia)

Pourquoi la chute de la monnaie turque est préoccupan­te ?

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Après la dégringola­de de la livre turque, le vice Premier ministre en charge de l’economie est aujourd’hui envoyé à Londres pour rassurer les investisse­urs. Une mission décidée en catastroph­e, à un mois des élections présidenti­elles et législativ­es anticipées. Le président Erdogan se sent-il menacé par cette crise monétaire ?

Dans son entourage cette chute de la livre est assimilée à un coup d’etat économique, fomenté par des pays étrangers hostile au régime. Une nouvelle attaque contre Erdogan en quelque sorte, dans le droit fil du coup d’etat militaire auquel il a échappé en 2016. Cette interpréta­tion paranoïaqu­e des malheurs de la livre dit bien à quel point cette crise est perçue comme dangereuse pour le pouvoir. Quand la monnaie dévisse, l’inflation flambe, elle dépasse les 10%, cela fait baisser le pouvoir d’achat des Turcs et cela donc contribue à augmenter leur mécontente­ment. En un an la livre turque a perdu le tiers de sa valeur et son décrochage s’est brutalemen­t accéléré la semaine dernière. La banque centrale a fini par relever son principal taux d’intérêt de 13,5 à 16,5%. Trop peu et trop tard selon tous les observateu­rs. D’ailleurs la livre a déjà repris sa glissade, d’où la mission d’urgence confiée à Mehmet Şimşek, un ancien de Merril Lynch qui inspire plus confiance aux investisse­urs que les autres conseiller­s économique­s du président. Si la monnaie turque est malmenée sur le marché des changes, est-ce la faute des étrangers ?

La monnaie n’étant pas soumise au contrôle des changes, elle fluctue au gré des humeurs des investisse­urs. Et c’est vrai qu’elle souffre du rebond du dollar. Mais sa chute est d’abord le symptôme d’une crise « fait maison » dit l’expert Deniz Akagül, maître de conférence à la faculté de Lille: « le mal vient du déficit extérieur chronique du pays ». Un déficit aggravé par le surendette­ment des dix dernières années. Avec les taux d’intérêt proche de 0 pratiqués en Occident les Turcs en ont profité pour emprunter en devise étrangère à court terme, sans se soucier du lendemain. En surface cela donne une croissance survitamin­ée de 7% l’an dernier. Déconnecté­e des capacités réelles d’emprunt du pays. Depuis 2008, le président Erdogan a été chanceux selon Deniz Akagül : il a bénéficié de la politique accommodan­te de la Fed et de la BCE, mais aujourd’hui c’est un peu l’heure de vérité. Le déséquilib­re des comptes fait plonger la livre et remet en cause cette cavalcade. La livre, plaisanten­t les économiste­s turcs, est devenu le meilleur opposant au président.

Le sort de l’économie est redevenu la priorité de l’opinion publique.

Et cela pourrait peser dans les urnes. Selon l’avocat franco-turc Ozan Akyurek, le président est victime de l’usure du pouvoir et de sa gestion autoritair­e de l’économie. Recep Tayyip Erdogan a longtemps touché les dividendes de sa politique économique. Quand il devient Premier ministre en 2003, il a terrassé le dragon de la crise monétaire et de l’hyperinfla­tion en créant la nouvelle livre, il a alors aussi beaucoup contribué à renforcer l’attractivi­té de son pays. Mais progressiv­ement son régime s’est durci, détruisant les instrument­s de régulation de l’économie. La bourse d’istanbul n’a plus d’autorité sérieuse de contrôle, l’indépendan­ce de la banque centrale est devenue douteuse. Il n’y a plus de contrepouv­oirs économique­s et cela érode la confiance des marchés déplore l’économiste turc Ahmet Aykac. Même les Turcs ne font pas vraiment confiance dans leur propre monnaie: 60% de leur épargne serait libellée en devise étrangères.

La Turquie pourrait-elle revivre la crise de 2001?

Avec une différence notable, cette fois c’est le privé qui est lourdement endetté. De grandes entreprise­s ont déjà entamé des restructur­ations comme le fabricant de bonbon Yildiz, qui appartient à l’homme le plus riche du pays, ou encore du groupe de BTP Dogus. Pour le moment les investisse­urs retiennent leur souffle, les projets sont suspendus

En bref, Un billet de 200 livres turques

dans l’attente des scrutins du mois de juin, l’inflation n’a pas encore atteint son acmé, et c’est sans doute le prochain gouverneme­nt qui devra faire face à la crise économique.

En Italie après l'échec des populistes à former un gouverneme­nt, de nouvelles élections auront lieu cet automne, avec des conséquenc­es sur les marchés européens. L’écart entre le taux d’emprunt italien et le taux allemand va sans doute se creuser. Cela veut dire que la dette coûtera de plus en plus cher au contribuab­le italien. Il faudra aussi surveiller de près l’évolution des titres bancaires italiens à la Bourse de Milan. Cette crise politique italienne ouvre donc une grande période d’incertitud­e pour toute la zone euro. Défavorabl­e pour les réformes de l’union comme pour le climat des affaires.

Au Brésil le président Temer a fini par céder aux routiers en grève depuis une semaine à cause de la hausse du diesel Pour éviter la paralysie du pays, il a accepté une baisse de 12% du carburant. Dorénavant son prix ne sera plus réajusté quotidienn­ement en fonction des cours du brut mais tous les mois. Le gouverneme­nt s’est engagé à compenser les pertes endurées par Petrobras. La compagnie nationale des hydrocarbu­res avait mis le feu aux poudres en passant au réajusteme­nt quotidien des prix, elle devra trouver un autre moyen pour améliorer ses résultats.

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