L'anti-hollande
Emmanuel Macron n’aura de cesse tant qu’il n’aura pas corrigé toutes les bévues de son prédécesseur. C’est ce qu’on avait compris dès le soir de son élection, il y a un an exactement. La solennité du discours du Louvre montrait bien que le nouveau venu n’entendait pas être le président trop « normal » que fut François Hollande.
Cette obsession de ne pas marcher dans les pas de son ancien mentor semble poursuivre le président français. Cela se sent dans le style « jupitérien » avec lequel il met en oeuvre des réformes économiques qui ne sont pourtant que le prolongement normal de celles de ses prédécesseurs. En politique étrangère, sa franche camaraderie avec Donald Trump tranche avec la distance que Hollande avait toujours gardée, même avec Obama. Son récent voyage en Russie rompt avec le discours essentiellement moralisant qu’avait toujours tenu Hollande sur Vladimir Poutine.
En lâchant la Canadienne Michaëlle Jean à la tête de l’organisation internationale de la Francophonie (OIF) au profit de la ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, Emmanuel Macron n’agit pas autrement. Il s’agit là aussi de corriger une erreur manifeste. N’eût été la division des pays africains et la fin de régime affligeante de François Hollande, jamais l’ancienne représentante de la reine d’angleterre au Canada ne se serait hissée là où elle est.
Jamais n’avait-on vu de dirigeant de la Francophonie avec un curriculum aussi mince, sans expérience diplomatique ni mandat électif et n’ayant même jamais dirigé un ministère. Rares sont ceux qui savent, surtout en Afrique, que la seule fonction d’un gouverneur général consiste à serrer des mains et à lire des discours estampillés par le bureau du premier ministre. Comme l’écrit si bien l’ancien ministre Joseph Facal dans Le Journal de Montréal, « après un parcours professionnel qui n’avait rien de particulièrement remarquable, aurait-elle été nommée gouverneure générale si elle n’avait pas été femme et membre d’une minorité visible, un “ticket” doublement gagnant dans certaines circonstances ? » La question vaut aussi pour la Francophonie.
Si la secrétaire générale avait montré depuis sa nomination quelques talents diplomatiques, si le sommet de Madagascar n’avait pas été un demi-échec ne seraitce que par le petit nombre de participants, si elle n’avait pas mis la pagaille au sein d’une organisation autrefois habilement gérée, on passerait probablement sur les dépenses somptuaires révélées par nos collègues de Québecor. Visiblement, le président français n’a pas été convaincu par le remplacement en catastrophe du fidèle Jacques Bilodeau, à qui Michaëlle Jean devait sa campagne africaine, par l’ancien diplomate de L’ONU Hervé Ladsous. Pour Macron, L’OIF ne peut pas se passer plus longtemps d’un dirigeant africain d’expérience.
En s’engouffrant dans cette brèche, Macron veut en profiter pour remettre L’OIF au coeur de l’afrique, un continent que Michaëlle Jean connaît mal et où elle n’a pas les contacts de ses prédécesseurs. Et pas n’importe quelle Afrique. En choisissant le Rwanda, il en profite évidemment pour se réconcilier avec un pays avec lequel la France était en délicatesse depuis le génocide de 1994. Mais le Rwanda, c’est aussi l’afrique qui « gagne », si chère au président et qui pourrait demain symboliser la nouvelle prospérité du continent.
Certes, les dirigeants rwandais, qui ont souvent séjourné aux États-unis, ont tourné le dos à la Francophonie et supprimé le français à l’école et dans l’administration. Mais celui-ci reste une des trois langues officielles du pays. Il serait toujours la langue étrangère la plus parlée. Emmanuel Macron voit probablement dans l’éclatement linguistique du Rwanda l’illustration de ce multilinguisme dans lequel il veut inscrire la Francophonie.
Mais l’essentiel est peut-être ailleurs. Le pays aux mille collines est aujourd’hui en compétition avec l’afrique du Sud et l’éthiopie pour ses exportations. Or, aux portes du Rwanda, on trouve la République démocratique du Congo (RDC), le plus grand pays francophone africain où, le 23 décembre prochain, des élections (reportées depuis deux ans) devraient normalement signer le départ du président Joseph Kabila. Le Rwanda, qui dirige l’union africaine, a d’ailleurs lancé une initiative avec l’angola pour que la transition se déroule pacifiquement.
Certes, la candidature rwandaise ne fait pas l’unanimité, à cause notamment du bilan démocratique catastrophique de son président « à vie » Paul Kagame. Ramener le Rwanda dans le giron francophone apparaît d’ailleurs comme un défi de taille, mais qui pourrait rejaillir sur une région au coeur de la croissance africaine là où se joue l’avenir du français sur le continent…